L’Europe est au cœur de tensions qui ouvrent l’année 2015. L’Union et la zone euro jouent leur survie, entre intégration et éclatement.
Sous l’apparent calme des marchés, inondés par les liquidités de la Banque centrale européenne (BCE), pointe une aggravation des risques autour de trois événements : la fin de l’arrimage du franc suisse à l’euro ; le lancement par la BCE d’un programme d’achats de dettes publiques et privées de plus de 1 100 milliards d’euros ; la large victoire d’Alexis Tsipras aux élections législatives grecques et la constitution d’un gouvernement populiste radical fondé sur l’alliance de l’extrême gauche avec les nationalistes du parti des Grecs indépendants.
Le succès de Syriza repose sur une surenchère populiste. Ce n’est pas la troïka mais le gouvernement d’Athènes qui porte la responsabilité première de la situation de la Grèce. Les dirigeants grecs ont construit un modèle insoutenable avec un secteur public et un État-providence hypertrophiés financés par l’endettement extérieur, sans appareil de production compétitif, sans système fiscal et sans État de droit. L’Europe n’a pas ruiné la Grèce mais l’a sauvée de la faillite en lui apportant une aide de 240 milliards d’euros. La démocratie impose de respecter le vote des électeurs grecs. Mais la voix des autres citoyens et les règles de l’État de droit européen doivent également être prises en compte. La raison commande de trouver des compromis et d’éviter une sortie de la Grèce de la zone euro qui serait catastrophique pour elle et négative pour la monnaie unique, même si le défaut d’Athènes ne représente plus un risque systémique.
La crise grecque relance cinq dynamiques dangereuses. La première concerne la Grèce, qui renouait avec la croissance (3 % prévus en 2015) et qui pourrait très rapidement rechuter dans la récession du fait des fuites de capitaux (11 milliards d’euros depuis le début janvier) et de la déstabilisation des banques. La deuxième provient de la fragmentation financière de la zone euro, avec l’imputation des pertes éventuelles de la BCE sur les titres de dette publique aux banques nationales à hauteur des quatre cinquièmes. La troisième touche le nouveau cours de la politique européenne, fondé sur le principe de flexibilité budgétaire, sur un intense assouplissement monétaire et sur le plan d’investissement de Jean-Claude Juncker, toutes initiatives qui pourraient être annihilées par un défaut grec. La quatrième, politique, résulte de l’innovation que constitue l’alliance du marxisme et de l’hypernationalisme, ainsi que son exportation dans l’Europe du Sud, à commencer par l’Espagne, où Podemos aborde les élections de décembre en position de force. La cinquième, stratégique, découle de la discorde supplémentaire des Européens face à l’impérialisme russe et du trou noir qui pourrait s’ouvrir au sud-est du continent si la Grèce devait basculer dans le chaos.
Le pire n’est jamais certain. Il existe un espace pour une renégociation de la dette grecque. L’intangibilité des prêts du FMI – toujours remboursés depuis la création de l’institution – et de la BCE – sous peine d’exclusion des banques grecques des mécanismes de refinancement – offre l’opportunité d’une sortie honorable pour la troïka. La restructuration pourrait être européanisée. Elle prendrait la forme d’un allongement de la durée des prêts de trente-huit à cinquante ans et d’une diminution de taux de 1 % à 0,5 %. Mais à la condition d’exclure des annulations qui seraient directement supportées par les contribuables européens.
La logique de cet accord peut cependant être télescopée par l’exacerbation des passions politiques. Alexis Tsipras a choisi d’agir à marche forcée. Mais ses premières décisions sont dévastatrices, y compris dans une logique de rapport de forces. Le gel des privatisations du port du Pirée et de la compagnie d’électricité PCC, l’augmentation du salaire minimum de 586 à 751 euros et des petites pensions, la réintégration de milliers de fonctionnaires licenciés, la limitation des licenciements collectifs ne sont nullement financés. La fragile amélioration de la compétitivité sera vite ruinée. Le versement du solde de l’aide internationale, soit 7,2 milliards d’euros, sera bloqué. Le choc en retour sur les opinions d’Europe du Nord sera profond, confortant la percée des forces hostiles à l’euro et à la solidarité, à commencer par AfD en Allemagne. Au total, c’est bien la survie de la monnaie unique qui se trouve en jeu, à travers la mise au grand jour de conceptions irréductiblement antagonistes de l’économie et de la monnaie.
(Chronique parue dans Le Figaro du 02 février 2015)