L’intérêt de Hollande pour la sécurité et l’international favorise l’immobilisme économique et freine des réformes jugées indispensables.
Un mois après les attentats qui ont décimé Charlie Hebdo et ensanglanté Paris, la conférence de presse du 5 février a parachevé le changement de posture de François Hollande en chef d’État et chef de guerre. La priorité va désormais à la stratégie autour de la lutte contre le terrorisme – qui persiste à refuser de désigner l’ennemi, à savoir l’islamisme, par son nom – et à l’engagement d’une médiation franco-allemande pour mettre fin à la guerre en Ukraine.
L’action du gouvernement est tout entière recentrée sur la sécurité – avec la découverte tardive que l’ordre public demeure la première condition de la liberté -, l’éducation – refondée autour de l’enseignement de la laïcité et du numérique -, la mixité des territoires et le service civique – érigés en armes fatales contre l’exclusion. Après la loi Macron, que son examen par l’Assemblée nationale vide chaque jour un peu plus de tout contenu, le programme économique et social du gouvernement est vide. Et ce en raison d’un constat et d’un pari.
Le constat est celui de l’échec dévastateur de la première partie du quinquennat, qui devait être placé sous le signe du redressement. Le choc fiscal de plus de 70 milliards d’euros infligé aux entreprises et aux ménages a transformé le déclin relatif de la France en déclin absolu en coupant notre pays de la reprise mondiale et européenne : érosion du niveau de vie de 1 % par an et de la richesse par habitant, désormais inférieure de 6 % à la moyenne des pays développés et de 12,5 % au niveau allemand ; emballement des faillites d’entreprise (63 000 par an) ; production industrielle ramenée à son niveau de 1994 ; chute de l’emploi marchand à son niveau de 2004 (15,8 millions de postes de travail) ; record historique du chômage, qui touche 5,5 millions de personnes en métropole ; effondrement de la compétitivité avec une part de marché dans la zone euro revenue à 12,3 % et un déficit commercial des biens manufacturiers en hausse constante ; déficit public structurel de plus de 4 % et dette publique tendant vers 100 % du PIB fin 2015.
Avec un tel bilan, on comprend que François Hollande soit parvenu à la conclusion qu’il faisait moins de mal en ne faisant rien plutôt qu’en s’obstinant à appliquer son programme de 2012, aussi démagogique que meurtrier pour la croissance et l’emploi.
Pour autant, le pari sur l’avenir reste très incertain. Il repose sur l’idée que la relance de l’économie française sera portée par la mise en oeuvre du CICE à l’intérieur et plus encore par l’amélioration de son environnement extérieur : chute de moitié du prix du pétrole, baisse de 15 % de l’euro, niveau historiquement bas des taux d’intérêt, flexibilité budgétaire et expansion monétaire grâce au recours de la BCE à l’assouplissement quantitatif, plan d’investissement de la Commission, présidée par Jean-Claude Juncker.
L’accumulation de ces bonnes nouvelles entraînera de fait un progrès de l’économie française, puisque la croissance devrait s’élever de 0,4 à 0,8 %, voire 1 % en 2015. Mais trois réserves s’imposent. L’éclaircie du contexte international demeure fragile et réversible, qu’il s’agisse de la nouvelle stratégie monétaire de la BCE, qui peut être télescopée par un défaut de la Grèce, de la décrue du pétrole ou de la hausse du dollar. Les performances de la France sont désormais systématiquement inférieures à celles de la zone euro : croissance de l’ordre de 1 %, contre 1,3 % ; hausse du chômage à 11 % de la population active qui contraste avec la diminution partout ailleurs ; dette publique de 100 % du PIB fin 2015, contre 95 % en moyenne. Enfin et surtout, l’économie française continuera à détruire des emplois marchands et à fabriquer du chômage.
La conjoncture extérieure ne suffira pas à déclencher une véritable reprise en France. La croissance, les créations d’emplois et la réduction des déficits n’interviendront que le jour où seront réalisées les réformes que chacun sait indispensables, mais que les dirigeants politiques persistent à éluder : hausse du taux de marge des entreprises par la baisse des impôts et des charges ; démantèlement de la fiscalité du capital et des réglementations malthusiennes qui gèlent l’activité des banques et de la place financière de Paris ; sortie des 35 heures et flexibilité du travail ; réductions des dépenses publiques concentrées sur les transferts sociaux et réinvestissement dans l’État régalien ; réorganisation du système éducatif autour de la transmission du savoir ; effort d’intégration des jeunes, des immigrés et de leurs descendants.
Or non seulement ces réformes ne sont pas à l’ordre du jour, mais les risques de fuite en avant des dépenses et de la dette publiques sont en forte hausse. Alors que les 21 milliards d’économies restent largement virtuels, les attentats de Paris ont fait prendre conscience du délabrement de l’État régalien. Le renforcement des moyens de la police, de la défense (maintien de 7 500 postes), de la lutte contre le décrochage scolaire ou la création d’un service civique universel sont autant de nouvelles dépenses qui peuvent être estimées entre 3 et 4 milliards d’euros.
Elles ne sont pas davantage financées que le compte pénibilité ou le tiers payant généralisé, dont chacun coûte 2 milliards d’euros. Dans le même temps, la doctrine de flexibilité budgétaire décidée par la Commission et l’assouplissement monétaire mis en oeuvre par la BCE réduisent fortement le risque de sanction par nos partenaires européens et par les marchés financiers en cas de dérive des finances publiques françaises. Ce n’est nullement la croissance, mais bien la mécanique infernale de la dépense et de la dette publique qui se trouve relancée. Toutes les conditions sont réunies pour que la France s’installe davantage encore dans l’immobilisme et dans sa position de passager de la zone euro, qui reporte sur ses partenaires les coûts et les risques d’un modèle insoutenable. Et ce au prix de l’accélération du déclassement de la nation et de la mise en péril de l’euro.
Le 11 janvier 2015, les Français ont adressé au monde et à leurs dirigeants un message de dignité et de courage, dont l’esprit est clair : sortir du déni, lever les tabous, passer des paroles aux actes. Ces principes ne peuvent se limiter à la sécurité ou à la politique extérieure. Ils ne seront crédibles que s’ils s’appliquent aussi à la réforme économique et sociale. Car, sans développement et sans finances publiques soutenables, il n’est ni République respectée, ni souveraineté nationale, ni capacité stratégique ou action diplomatique effective.
Chronique parue dans Le Point du 12 février 2015)