Protectionnisme, isolationnisme, nationalisme… Les effets de la politique du candidat républicain seraient cataclysmiques et conduiraient au chaos.
Depuis sa nette victoire lors du Super Tuesday, Donald Trump a toutes les chances d’être le candidat républicain qui affrontera Hillary Clinton lors de la présidentielle de 2016. Sa percée, aussi fulgurante qu’inattendue, s’explique par le dualisme de l’économie et de la société comme par le fossé qui s’est creusé entre les Américains et leurs dirigeants.
Sur le plan économique, les États-Unis présentent un double visage. D’un côté, le rétablissement des grands équilibres est spectaculaire : une croissance stable autour de 2,4 % par an ; le retour du plein-emploi avec la création de 2,7 millions de postes de travail en 2015, ce qui a permis de ramener le taux de chômage à 4,9 % de la population active ; des salaires progressant en moyenne de 2,5 % alors que l’inflation ne dépasse pas 1 % ; un déficit public ramené de 10 % à 2,4 % du PIB depuis 2010. Sous la reprise pointent cependant l’exclusion de plusieurs millions de travailleurs découragés, l’explosion des inégalités, la crise de la classe moyenne, qui rassemble désormais moins de la moitié de la population, la montée de la pauvreté, qui touche un foyer sur cinq.
Mais le succès de Trump s’enracine d’abord dans la crise politique. La colère, l’humiliation et la peur d’une majorité d’Américains ont été sous-estimées. Colère contre la perte de leadership et la paralysie des institutions. Humiliation de la classe moyenne blanche, qui s’exprime par le rejet radical du premier président afro-américain. Peur du déclin des Etats-Unis face à la Chine et de la dissolution de leur identité face à l’immigration.
Trump, grâce à son image de self-made-man, a réussi à ramener une partie des Américains vers l’élection présidentielle. Mais au prix fort d’une démagogie délétère. Son populisme repose sur la dénonciation plus que sur un projet cohérent. Son programme économique en est exemplaire qui, s’il devait être appliqué en l’état, conduirait les États-Unis à un nouveau krach financier.
Pour Trump, les deux mamelles des États-Unis sont les baisses d’impôts et le protectionnisme. Il entend plafonner le taux de l’impôt sur les sociétés à 15 % et celui de l’impôt sur le revenu à 25 %, tout en exonérant les Américains gagnant moins de 25 000 dollars par an. L’Obamacare serait supprimé au profit d’une baisse autoritaire des médicaments, tandis que les pensions de retraite et la protection des sans-abri seraient améliorées. Dans le domaine de la régulation financière, l’objectif, très contradictoire, consiste à assouplir l’activité des banques tout en encadrant strictement celles des fonds d’investissement.
La rupture principale s’effectue avec le libre-échange. Trump propose d’instaurer une taxe de 20 à 45 % sur les importations en provenance de Chine, du Japon et du Mexique, ciblant en particulier les productions étrangères des groupes américains. Les traités de commerce concernant les Amériques et le Pacifique seraient dénoncés et le grand marché transatlantique abandonné. Enfin, les 11 millions de travailleurs clandestins seraient expulsés et un mur construit à la frontière avec le Mexique.
Les conséquences potentielles de ce programme sont cataclysmiques. Pour le Trésor, il en résulterait une perte de 9 500 milliards de dollars sur dix ans qui porterait le déficit public de 2,4 % à plus de 4 % du PIB et ferait exploser la dette de 120 à 180 % du PIB en 2026. Les mesures protectionnistes entraîneraient des représailles et déclencheraient la guerre commerciale et monétaire que le G20 est parvenu à éviter en 2009. Sur le plan économique, les Etats-Unis seraient isolés et perdraient leur capacité unique à attirer talents et cerveaux, entreprises et capitaux. Sur le plan financier, la dette deviendrait insoutenable dès lors qu’elle est très largement souscrite par les investisseurs étrangers, notamment la Chine. Sur le plan géopolitique, le risque serait très élevé que la généralisation des différends commerciaux et monétaires débouche sur des conflits armés entre les grands pôles qui structurent la mondialisation.
L’une des forces du système politique américain réside dans son ouverture à des personnalités atypiques. Mais Donald Trump n’est pas Ronald Reagan. Ce dernier, sous le couvert d’une politique de l’offre, n’a pas hésité à conduire une stratégie résolument keynésienne. Sa politique économique et internationale a réussi à sortir l’Amérique du cauchemar de sa défaite au Vietnam et des chocs pétroliers.
Trump, qui multiplie les contresens historiques, refuse la mondialisation sous prétexte qu’elle serait incarnée par Barack Obama, revenant ainsi à un déni du XXIe siècle. Son isolationnisme et son nationalisme sont le meilleur moyen d’aggraver le chaos mondial et le déclin des Etats-Unis, tout en divisant les démocraties face aux menaces stratégiques émanant des nouveaux autocrates et des djihadistes. L’assèchement des ressources de l’Etat fédéral et son surendettement déboucheraient inévitablement sur une nouvelle crise financière. Surtout, le recours massif au protectionnisme réamorcerait le risque d’une déflation mondiale, écartée in extremis en 2009.
Trump renoue ainsi avec les erreurs majeures commises par les États-Unis en 1930, quand l’augmentation massive des droits de douane votée par la loi Smoot-Hawley provoqua une cascade de mesures protectionnistes et de dévaluations compétitives en représailles qui disloquèrent les échanges et les paiements mondiaux. Il est probable qu’il modérera ses prises de position une fois investi. S’il devait être élu, ses pouvoirs resteraient encadrés par la Constitution à travers le rôle dévolu au Congrès et à la Cour suprême. Mais la démagogie n’est pas une Google Car qu’on manœuvre à volonté. Ce n’est pas à l’Amérique mais à la Dépression que Donald Trump est en passe de redonner toute sa vigueur.
(Chronique parue dans Le Point du 15 mars 2016)