Engagée dans une guerre durable, face aux défis géostratégiques qui se pressent, la France doit augmenter le budget de la défense.
La France doit actualiser en 2015 la loi de programmation militaire pour les années 2014 à 2019. Conçue à l’origine comme un exercice de routine, cette révision prend une importance décisive. Le changement de nature et d’intensité des menaces auxquelles notre pays fait face a révélé le sous-dimensionnement des contrats opérationnels de nos armées et oblige à accroître les moyens qui leur sont affectés. À défaut, la sécurité de la France serait compromise et son déclassement stratégique inéluctable.
Jamais, depuis la guerre d’Algérie, la sécurité de la France n’a été confrontée à des menaces aussi élevées au double plan intérieur et extérieur. Elles ont deux origines : l’islamisme et le renouveau de l’impérialisme russe.
L’islamisme poursuit une guerre de religion mondiale. Le premier front se déploie le long d’un axe de la terreur qui court du Nigeria au Pakistan. Il est marqué par l’émergence de l’État islamique, auquel Boko Haram vient de prêter allégeance. La menace est inédite d’une organisation terroriste qui entend créer un empire religieux, le califat, et s’est érigée en État disposant de la capacité à conduire des opérations militaires complexes sur plusieurs fronts, d’une banque centrale et de ressources pétrolières qui lui procurent 3 milliards de dollars par an. D’une organisation qui contrôle le tiers de l’Irak et de la Syrie, et ne cesse de s’étendre au Liban, en Égypte, en Libye et en Afrique. D’une organisation qui déploie une propagande mondiale grâce à une terreur hyperbolique et à l’utilisation massive des réseaux sociaux.
Le deuxième front se situe à l’intérieur des sociétés démocratiques. Et la France est en première ligne, comme l’ont souligné les attentats de Paris, du fait de ses engagements militaires en Afrique et au Moyen-Orient comme de la présence d’une communauté de 5 millions de musulmans sur son sol. Parmi ceux-ci, 1 800 ont fait le choix du djihad dont 90 sont morts au combat.
Dans le même temps, le projet de Nouvelle Russie porté par Vladimir Poutine a disloqué le système de sécurité de l’Europe mis en place après la chute du mur de Berlin. L’annexion de la Crimée, l’intervention en Ukraine, la pression exercée sur toute la frontière orientale du continent, les menaces de recours à l’arme nucléaire et le déchaînement d’une propagande anti-occidentale d’une rare violence lancent une seconde guerre froide.
La guerre est donc de retour. Et de manière durable. Or, la France se trouve engagée très au-delà des contrats opérationnels fixés par la loi de programmation militaire. Dans le domaine de la gestion de crise, l’objectif consistait à déployer 6 000 à 7 000 hommes et 12 avions de chasse sur trois théâtres. Depuis l’arrivée du porte-avions Charles-de-Gaulle dans le Golfe, ce sont plus de 10 500 hommes et 45 avions qui sont engagés au Moyen-Orient et en Afrique (3 600 hommes pour « Barkhane » et 2 000 en Centrafrique), auxquels s’ajouteront prochainement les 400 hommes et les chars Leclerc qui participeront aux manœuvres organisées en Pologne. La protection du territoire et de la population devait pouvoir mobiliser 10 000 hommes sur quelques jours. Plus de 10 500 ont été réquisitionnés en janvier et 7 000 sont désormais appelés à surveiller en permanence 700 sites, ce qui demande 21 000 soldats (un déployé, un à l’entraînement, un autre en régénération).
Le constat est sans appel. Le format des armées prévu par la loi de programmation est insoutenable. L’objectif d’une armée de terre réduite à 66 000 hommes en 2020 doit être revu pour être fixé entre 77 000 et 80 000 hommes. Mais cet effort ne peut être compensé ni par des réductions d’effectifs dans les autres armes -également en surchauffe- , ni par une diminution de l’entraînement insuffisant par rapport aux normes Otan (150 heures pour les pilotes de chasse et d’hélicoptères contre un minimum de 180 heures, 86 jours de mer pour les marins contre un minimum de 100 jours), ni par des économies dans la maintenance des matériels déjà sinistrée (disponibilité de 41 % pour les aéronefs, 60 % pour les bâtiments de combat, 62 % pour les blindés). La modernisation des équipements ne peut être ralentie, alors que des lacunes majeures demeurent en matière de renseignement, de cyberguerre, de drones, de mobilité et de transport aériens. Enfin, il est impossible de recourir à des ressources exceptionnelles, alors même que les 2,6 milliards prévus en 2015 restent virtuels, compte tenu du retard dans la vente des fréquences de la TNT et du blocage des sociétés de financement envisagées pour l’acquisition de trois frégates et quatre A400 M.
La France doit donc porter le budget de la défense de 31,4 à 33 milliards d’euros par an, ce qui est le minimum pour financer la stabilisation des effectifs de l’armée de terre (1 milliard) et les opérations extérieures (1,2 milliard pour une provision de 450 millions). Ceci placerait l’effort de défense à 1,6 % du PIB, à comparer à un objectif Otan de 2 % du PIB.
La garde ne doit pas plus être baissée en matière financière qu’en matière stratégique. Le réinvestissement dans la défense ne doit pas être financé par la dette. La révision à la hausse des effectifs et du budget de la défense doit être compensée à due concurrence par l’arrêt des créations de postes dans l’éducation nationale, par un plan de réduction des effectifs de la fonction publique territoriale et hospitalière, par des coupes dans les 670 milliards de dépenses sociales.
Chronique parue dans Le Figaro du 23 mars 2015)