Les pays développés bénéficient de la chute du baril de pétrole de 110 à 55 dollars, du maintien de taux d’intérêt très faibles, et de leurs réformes.
La mondialisation a déclenché le décollage des pays du Sud, gagnant progressivement tous les continents, de l’Asie à l’Afrique. Les émergents génèrent désormais 52 % de la production industrielle et 34 % de la demande mondiale. Ce mouvement a été accompagné de turbulences dans les pays développés, qui ont conjugué l’explosion de l’économie de bulles en 2008, l’installation d’un fort chômage, l’explosion de la dette publique et privée, qui atteint 270 % du PIB. En un quart de siècle, l’écart de richesse entre le Nord et le Sud a été réduit d’un tiers. Le retournement est symbolisé par le chassé-croisé entre la Chine, devenue en 2014 la première puissance économique en parité de pouvoir d’achat, et les États-Unis, qui ont perdu la capacité à réguler seuls le capitalisme mondialisé.
Pourtant, une nouvelle donne se dessine en 2015. Pour la première fois depuis le début du XXIe siècle, les bonnes nouvelles proviennent du monde développé. Et les mauvaises se concentrent dans le monde émergent. Le différentiel de croissance à l’avantage du Sud, qui s’élevait à 4,5 % depuis 2000 et avait culminé à 7,5 % en 2008, se trouve réduit à 2 %. Les pays développés connaîtront cette année une croissance de 2,2 % dans une économie mondiale qui progressera de 3,3 %. Mieux, tous les pôles qui composent le Nord afficheront des performances positives en 2015. Les États-Unis, au terme de six années d’une reprise qui a débuté en 2009, ont restauré leur compétitivité et leur rôle de moteur de l’activité mondiale. La croissance est stabilisée au-dessus de 2,5 % ; le plein-emploi est atteint avec un taux de chômage limité à 5,5 % ; le déficit public est passé de 10 à 2,5 % du PIB depuis 2010. La profitabilité des entreprises demeure élevée. Quatre freins ralentiront toutefois l’activité cette année : l’appréciation du dollar de 25 % ; la révision à la baisse des investissements énergétiques avec la chute du prix du pétrole ; l’inéluctable remontée des taux d’intérêt ; la reconstitution d’une bulle sur les marchés d’actions, qui se sont envolés de 210 % depuis 2009.
L’Europe est en passe d’échapper à la trappe de la déflation. La zone euro renoue lentement avec la croissance : 1,8 % en 2015 et 2,2 % en 2016. Le taux de chômage s’apprête à repasser au-dessous de 11 %. Les déficits publics sont maîtrisés à 2,7 % du PIB et la dette stabilisée autour de 93 % du PIB. De son côté, le Royaume-Uni bénéficie à plein de la reprise avec une croissance de 2,6 % en 2014 et 2,8 % en 2015, un retour au plein-emploi (taux de chômage de 5,7 %), une diminution rapide du déficit public revenu de 10,2 % à 4 % du PIB depuis 2010. Enfin, le Japon émerge très difficilement d’un quart de siècle de stagnation avec une croissance qui s’établit autour de 1 % et devrait atteindre 1,5 % en 2016. La production industrielle et la consommation redémarrent doucement. La profitabilité élevée des entreprises fournit des marges pour une hausse des salaires lors des négociations de printemps, qui pourrait permettre de tenir l’objectif d’une inflation de 2 % assortie d’une progression du pouvoir d’achat.
Dans le même temps, nombre de pays émergents sont confrontés à une remise en question de leur modèle économique. La Chine réalise un atterrissage en douceur autour de 7 % de croissance en liant lutte contre la corruption, stabilisation de l’endettement public et privé (220 % du PIB), dégonflement des bulles immobilières et boursières. La Russie bascule dans une violente récession – baisse du PIB de 5 % – sous l’impact de la chute du prix du pétrole – dont le coût s’élève à 135 milliards de dollars, soit 10 % du PIB -, des sanctions internationales et de la faillite du système bancaire. Le Brésil plonge dans la récession et dans la crise institutionnelle en raison de la politique économique calamiteuse de Dilma Rousseff et du scandale Petrobras. L’Afrique du Sud est dépassée par le Nigeria et voit sa croissance plafonner à 1,8 % du PIB, tandis que le chômage touche plus du quart de sa population.
Force est de constater que le Sud se trouve rattrapé par certains problèmes traditionnels des pays développés, notamment du fait des attentes des nouvelles classes moyennes : chute de la compétitivité provoquée par les hausses de salaire ; dérive des dépenses sociales ; surendettement public et privé… A l’inverse, les pays développés bénéficient de la chute du baril de pétrole de 110 à 55 dollars ou du maintien de taux d’intérêt très faibles, mais surtout de leurs réformes. Les États-Unis ont mené à bien l’amélioration de la productivité du travail, la restructuration du système financier, la révolution énergétique, la domination de l’économie numérique. La zone euro s’est consolidée grâce à la modernisation de ses institutions. D’un côté, la BCE s’est convertie à une politique de lutte contre la déflation en imposant des taux négatifs, la baisse de l’euro et des achats de titres à hauteur de 1 140 milliards d’euros, en même temps qu’était lancé le plan d’investissement Juncker portant sur 315 milliards d’euros. De l’autre, l’ajustement des pays dits périphériques a porté ses fruits, avec le retour de l’Irlande, de l’Espagne et du Portugal à une croissance respective de 4,8, 2,4 et 1,8 %. Parallèlement, l’Allemagne s’est ralliée à une stratégie de reflation en réalisant des hausses de salaires de 3 % par an en moyenne.
Le monde développé ne doit en aucune manière céder à l’euphorie. Les classes moyennes vont subir la révolution technologique qui détruira la moitié des emplois existants d’ici à 2030. Les risques géopolitiques reviennent en force. L’explosion des populismes rend les démocraties de moins en moins gouvernables. Enfin, le risque de la facilité qui consiste à utiliser l’amélioration pour s’exonérer des réformes est bien réel.
Quatre leçons se dégagent du réveil du monde développé :
- La mondialisation n’implique aucune fatalité d’un déclin du Nord ou d’une suprématie du Sud.
- C’est le redémarrage de l’investissement qui fournit le socle d’une reprise durable.
- Depuis 2008, les banques centrales ont pour l’essentiel fait leur travail, mais pas les gouvernements, trop souvent passifs.
- Le clivage ne passe plus entre le Nord et le Sud, mais entre les nations, les entreprises ou les individus capables de se réformer et les autres. La maxime du général de Gaulle n’a jamais été plus vraie : « Etre inerte, c’est être battu. »
Chronique parue dans Le Point du 26 mars 2015)