Le « miracle indien » pourrait arriver. Narendra Modi mène des réformes qui pourraient faire de l’Inde une locomotive de la croissance mondiale.
La visite en France et en Europe de Narendra Modi, un peu moins d’un an après son élection en mai 2014, prend place à un moment décisif. L’Inde dispose d’une occasion exceptionnelle pour devenir une locomotive de la croissance mondiale. Elle peut continuer à jouer pleinement de la dynamique du rattrapage des pays les plus avancés, tout en bénéficiant du contre-choc pétrolier ainsi que du ralentissement de la Chine et des difficultés des autres grands émergents – Brésil, Russie et Afrique du Sud. Mais son redécollage passe par la réforme d’un modèle miné par la corruption et la bureaucratie, l’insuffisance des infrastructures et la sous-qualification du travail. Tout dépend donc de la capacité du nouveau premier ministre à mettre effectivement en œuvre en 2015 les mesures radicales qu’il a annoncées en 2014 pour relancer l’activité et l’emploi.
Le mandat que les Indiens ont confié à Narendra Modi, après de longues années d’impuissance du Parti du Congrès, est triple. Renouer avec une croissance élevée pour réduire la pauvreté dans un pays de 1,25 milliard d’habitants dont 800 millions sont âgés de moins de 35 ans et dont le revenu annuel moyen s’établit à 1 500 dollars contre 6 800 dollars en Chine. Améliorer la gouvernance et renforcer l’État de droit en luttant contre la corruption, dont le coût est estimé entre 4 et 12 milliards de dollars par an. Conforter la nation en réduisant les inégalités, en combattant le terrorisme et en répondant à la poussée chinoise dans l’océan Indien. Modi a surpris en adoptant une démarche pragmatique et progressive. Il n’a pas donné la priorité au plan de relance que d’aucuns attendaient mais à la réforme de l’État. Avec pour objectif d’assurer une solide assise politique des réformes à travers le renforcement de l’autorité du premier ministre, l’amélioration de la productivité dans les administrations, le contrôle des nominations pour endiguer la prévarication.
La modernisation de l’économie a été enclenchée à l’automne 2014 avec le projet « Make in India », qui prévoit de porter la part de l’industrie de 17 à 22 % du PIB en 2022 pour créer chaque année les 10 à 15 millions d’emplois nécessaires pour absorber les nouveaux arrivants sur le marché du travail. Il a été complété par l’annonce de la création de 100 villes intelligentes pour désengorger les mégalopoles de New Delhi et Mumbai qui sont désormais les plus polluées du monde ainsi que d’une couverture sociale universelle contre les risques d’accidents et de décès, puis de santé et de retraite.
Sur le plan diplomatique, l’accent a été mis sur la rupture de la stratégie d’encerclement poursuivie par la Chine au plan commercial avec les Nouvelles routes de la soie comme au plan stratégique avec le collier de perles des points d’appui maritimes. La volonté de reconquête de l’océan Indien s’est incarnée dans l’accélération de la constitution d’une flotte de haute mer, dotée de porte-avions, de frégates et de sous-marins nucléaires, ainsi que dans la multiplication des partenariats économiques et de défense avec les Seychelles, Maurice ou le Sri Lanka. Dans le même temps, un partenariat stratégique a été noué avec les États-Unis, via un accord de défense sur dix ans, et un rapprochement spectaculaire a été effectué avec le Japon de Shinzo Abe, dont les relations avec la Chine de Xi Jinping sont notoirement tendues. Enfin, l’Inde cherche en Occident, y compris en Europe, capitaux et technologies, à l’image de l’acquisition de 36 Rafale.
Force est de constater qu’il existe déjà un effet Modi. La croissance atteindra 7,4 % en 2015 et 8,6 % en 2016. L’inflation est revenue à 5,6 %. Le déficit a été ramené de 7 % à 4,1 % du PIB. Pour autant, le déficit commercial reste élevé et les investissements étrangers insuffisants pour financer le formidable effort d’équipement requis, notamment dans les villes, les transports et l’énergie.
Voilà pourquoi l’Inde de Narendra Modi se trouve à la croisée des chemins. Soit les réformes avortent et elle courra les mêmes risques que le Brésil en cumulant paralysie de la décision publique, problèmes structurels de compétitivité, double déficit commercial et public, endettement extérieur. Soit la dynamique du changement s’enclenche et l’Inde dispose alors du potentiel pour devancer la Chine en termes de croissance.
Pour l’heure, Narendra Modi paraît bien parti. Il a construit une légitimité politique qui en fait le premier ministre le plus puissant depuis Nerhu et Indira Gandhi. Disposant d’un allié de poids avec Raghuram Rajan, qui modernise la politique monétaire à la tête de la banque centrale, il est bel et bien en train de réveiller l’Inde. En démontrant qu’au sud comme au nord, la stagnation n’est nullement fatale et que les réformes visant à renforcer l’État de droit et l’offre productive sont le meilleur allié de la croissance et de l’emploi.
Chronique parue dans Le Figaro du 13 avril 2015)