La chute de la production hexagonale est liée au Waterloo industriel français. Son sauvetage est une des clés du redressement national.
Après six années de stagnation, l’activité économique connaît un rebond en France, avec une croissance qui devrait atteindre 1,1 % en 2015. Ce regain conjugué à des taux d’intérêt historiquement faibles devrait permettre de limiter le déficit public à 3,8 % du PIB, atténuant ainsi les tensions avec l’Allemagne et nos partenaires européens.
En apparence, les risques n’ont jamais été aussi faibles. Dans la réalité, il en va tout autrement. D’abord parce que la volatilité des marchés augmente, notamment du fait des menaces de sortie du Royaume-Uni de l’Union et de la Grèce de l’euro : un point de hausse des taux d’intérêt se traduirait par 40 milliards de charges supplémentaires de la dette publique en cinq ans. Ensuite parce que la timide reprise française reste à la remorque de l’Europe, où l’activité va croître de 1,5 % dans la zone euro, 1,9 % en Allemagne et 2,6 % au Royaume-Uni. Et ce parce qu’elle est hémiplégique, portée par le seul moteur de la consommation.
La chute de la production française trouve sa source principale dans le déclin de l’industrie. La production industrielle stagne à son niveau de 1994, accusant un recul de 16,5 % par rapport à son niveau de 2008. La part de l’industrie dans la valeur ajoutée est limitée à 11 % contre 16 % dans la zone euro et 22 % en Allemagne. Avec des conséquences désastreuses pour le commerce extérieur et le marché du travail. La France ne compte plus que 90 000 entreprises industrielles exportatrices contre 210 000 pour l’Italie et 310 000 pour l’Allemagne ; 2,5 millions de postes de travail ont été détruits en un quart de siècle, dont 150 000 depuis 2012.
Le succès des filières de l’aéronautique, de l’armement ou du luxe masque de moins en moins cette désintégration. Elle résulte de trois évolutions. Le niveau record des faillites d’entreprises, notamment des grosses PME à l’image de Mory, ou des situations de quasi-cessation des paiements à l’image d’Areva. La multiplication des rachats par des entreprises étrangères soit de groupes en restructuration comme PSA par Dongfeng, Alstom-énergie par General Electric, Alcatel-Lucent par Nokia, soit de fleurons comme Lafarge, cédé à Holcim au terme de ce qui ne constitue en rien une fusion entre égaux, ou de Norbert Dentressangle, récemment acquis par XPO Logistics.
Les causes profondes du Waterloo industriel français tiennent, on le sait, dans le déficit de compétitivité de notre pays. Baisse du taux de marge des entreprises qui annihile leur capacité d’investissement et entraîne le vieillissement accéléré de leur appareil de production. Dérive des coûts horaires du travail qui atteignent 34,60 euros contre 31,40 en Allemagne, 28,30 en Italie et 21,30 en Espagne. Envolée des impôts et des charges acquittés par les entreprises qui culminent à 18 % du PIB contre 14,5 % en Italie, 12 % en Espagne et 9 % en Allemagne. Euthanasie du risque et de l’innovation par le principe de précaution. Positionnement de moyenne gamme très vulnérable tant face aux productions à haute valeur ajoutée de l’Europe du Nord qu’aux offres à bas coûts de l’Europe du Sud et des émergents.
L’industrie joue un rôle décisif dans la nouvelle donne qui se dessine après le krach de 2008. La balance s’est renversée au détriment de la finance, comme le montrent, aux États-Unis, la fuite des talents de Wall Street vers la Silicon Valley ou la cession par General Electric de son pôle financier pour se recentrer autour de l’aéronautique, de l’énergie, des transports et de la santé. L’industrie se trouve ainsi au cœur de la reprise américaine comme du repositionnement de long terme de l’Allemagne, de la Suède, de la Suisse ou de la Corée du Sud.
Le sauvetage de l’industrie française est une des clés du redressement national. Il passe par un travail patient pour améliorer tous les facteurs de production : le travail, grâce à la sortie des 35 heures et à la flexibilité ; le capital via le démantèlement de la fiscalité confiscatoire qui le frappe et la création d’une base actionnariale française au travers de fonds de pension et d’investissement ; l’énergie via la pleine valorisation de l’atout nucléaire et le développement raisonné des seuls renouvelables rentables ; l’innovation grâce au retrait du principe de précaution de la Constitution ; la promotion de la marque France.
L’industrie n’est pas une relique barbare du XIXe siècle mais un secteur d’avenir pour répondre aux besoins des nouvelles classes moyennes du Sud, de la protection de l’environnement ou de l’économie de la connaissance. La France dispose de la plus rare des ressources avec des ingénieurs de très grande qualité que nos concurrents s’arrachent. Donnons-leur les moyens de redévelopper notre industrie au lieu de les contraindre à l’exil !
Chronique parue dans Le Figaro du 11 mai 2015)