Incapable de réformes, l’État et ses pseudo-serviteurs ont trahi. Il revient aux jeunes générations d’aider le pays à renouer avec son héritage.
L’histoire du XXIe siècle, dominée par la mondialisation, s’ouvre sous le signe d’un grand désarroi des démocraties. D’un côté, les chocs et les risques se multiplient : vieillissement démographique et explosion des migrations ; concurrence des pays émergents ; chômage de masse ; révolution des technologies de l’information ; réchauffement climatique ; montée des menaces stratégiques. De l’autre, la déstabilisation des classes moyennes, la faiblesse du leadership et la division des démocraties ouvrent un vaste espace aux démagogues à l’intérieur, aux autocrates et aux fanatiques à l’extérieur.
Aucune démocratie n’est épargnée par la crise identitaire. Nulle part, cependant, la crise morale et existentielle n’est aussi intense qu’en France. Elle s’enracine dans quatre décennies de déclin économique marquées par l’euthanasie de la croissance, la paupérisation de la population, l’installation d’un chômage permanent, la création d’une bulle spéculative des finances publiques promise à éclater avec la prochaine remontée des taux d’intérêt. La société a basculé dans la peur et la défiance, qui bloquent le changement et l’innovation. La décohésion de la nation crée un climat de guerre civile de moins en moins froide. Le déclassement de la France et des Français nourrit un sentiment d’humiliation nationale. L’impuissance de la classe politique à réaliser les réformes que chacun sait indispensables mais que tous éludent délégitime les institutions démocratiques et fait le lit du Front national.
La clé du redressement passe, comme à la Libération, par une révolution intellectuelle et morale. Et celle-ci suppose une réinvention de la France dans le XXIe siècle. L’identité de la France peut être un poison mortel si elle est érigée en culte d’une commémo-nation, comme le célèbre François Hollande dans la lignée de Jacques Chirac pour tenter de masquer ses échecs et son incapacité à être un chef d’État, ou si elle est mise au service d’un nationalisme et d’un socialisme intégraux, donc d’un national-socialisme intégral, comme le fait Marine Le Pen. Mais elle peut aussi devenir le levier du renouveau si l’identité n’est pas conçue comme un carcan qui étouffe mais comme un instrument de mobilisation des citoyens. Si elle ne répond pas à une logique de conservation mais qu’elle devient un principe d’adaptation à la modernité.
La France n’est ni un peuple ni une géographie. Elle est une histoire et une civilisation. Et cette histoire et cette civilisation sont politiques. Avec pour piliers l’unité, la souveraineté, la langue française et l’aspiration à l’universel.
La France, avec l’Angleterre et les États-Unis, a contribué à enfanter la liberté politique. La révolution anglaise a imposé l’habeas corpus, garant des libertés individuelles, et donné naissance au Parlement. Les Etats-Unis ont imaginé la Constitution et mis en acte la séparation des pouvoirs. La Révolution française a consacré les droits de l’homme et la souveraineté.
La langue française a fédéré l’Europe et ses élites du XVIIe jusqu’au XIXe siècle. Ce temps est révolu, mais sa diffusion et sa puissance restent sous-estimées, alors que la planète comptera 770 millions de francophones en 2050. Le français reste indissociable du rayonnement d’une culture et d’une civilisation qui continuent à fasciner. S’il n’est plus la langue universelle, statut réservé aujourd’hui à l’anglais, il demeure la langue de l’universel.
Il existe donc un lien intime entre la France et la liberté et la dignité des hommes. Ce lien dépasse les frontières de notre territoire. Mais la France n’a pas toujours été à la hauteur de son héritage et des valeurs qu’elle incarne. Le fil de son histoire a été rompu à la fin du XXe siècle par plusieurs décennies d’abaissement et de renoncement ; il doit être renoué. La génération de dirigeants irresponsables qui ont détruit l’identité de la France en cherchant à la manipuler en est incapable : comme sous Vichy, l’Etat et ses pseudo-serviteurs ont trahi. Il revient donc aux Français, notamment aux jeunes générations ouvertes sur le monde, de se réapproprier l’identité de la France avec la maîtrise de leur destin…
Rien ne justifie la lente sortie de la France de l’histoire du XXIe siècle. Elle dispose en effet d’atouts considérables dans la mondialisation : une démographie vigoureuse ; un remarquable capital humain, y compris en termes d’entrepreneurs ; une épargne abondante ; un réseau dense d’infrastructures ; des pôles d’excellence reconnus dans le secteur public comme dans le secteur privé ; un patrimoine, une culture et un art de vivre inégalés. Si l’Etat ne cesse de démontrer son incapacité à se réformer, la créativité des Français, leur sens de l’improvisation, leur compréhension de la politique font merveille dans la société ouverte, notamment hors de France. Leur compétence dans le domaine de la gestion de crise et leur vision stratégique sont reconnues. Grâce à eux, la France demeure l’une des dernières démocraties, avec les États-Unis et le Royaume-Uni, à pouvoir assumer le risque d’opérations militaires extérieures.
Au cœur de l’identité française, on trouve des valeurs d’une parfaite actualité, dont celles de la République qui érige les individus en citoyens, transcendant mais aussi protégeant la diversité de leur origine, de leur condition, de leurs opinions et de leurs croyances. On trouve aussi l’Europe dont notre pays a lancé l’intégration après la Seconde Guerre mondiale et dont il a longtemps incarné la dimension politique, avant de se renier. La création d’une Europe politique, apte à répondre aux défis de la mondialisation, constitue le projet historique qui devrait mobiliser la France et les Français. Mais une France à terre ne peut prétendre être le champion d’une Europe debout. On trouve enfin la francophonie, qui représente un formidable gisement de puissance, à la condition de se projeter dans la mondialisation au lieu de prétendre vainement en arrêter le cours pour retourner dans le paradis illusoire de l’économie administrée et de la société fermée.
La France a vocation à être l’un des acteurs majeurs d’une mondialisation qui réalise nombre de ses idéaux, notamment en diffusant le développement, en réduisant la pauvreté, en exigeant un libéralisme politique et non pas seulement économique. Elle doit reconquérir son identité. Et ce grâce aux Français qui, seuls, peuvent la libérer d’un État prédateur et de dirigeants qui n’ont que la République à la bouche mais dont les actes la renient quotidiennement. Le temps est compté, comme le montre le naufrage de la Grèce. À Paris comme à Athènes, la mise en garde lancée par Périclès aux débuts de la guerre du Péloponnèse reste actuelle : « Ce sont les hommes et non les pierres qui constituent le meilleur rempart des cités. »
(Chronique parue dans Le Point du 25 juin 2015)