Au terme de la présidence calamiteuse de George W. Bush, Barack Obama fut élu pour sortir les États-Unis des bourbiers afghan et irakien, restaurer la croissance et réunifier la nation. Son bilan est plus que mitigé.
Au plan économique, les États-Unis ont non seulement conjuré la menace d’une grande déflation, mais effectué une remarquable sortie de crise. La croissance est stabilisée autour de 2,5 %. Le plein-emploi a été rétabli avec un taux de chômage réduit à 5,4 % de la population active. Les salaires augmentent de 2,4 % par an alors que l’inflation reste inférieure à 2 %. Le déficit public a été ramené de 10 % à 2,5 % du PIB.
La reprise doit cependant plus à l’esprit d’entreprise des Américains et à la Réserve fédérale (Fed) qu’à l’Administration Obama. Elle a été tirée par Corporate America, qui compte 53 des 100 premières capitalisations mondiales. Avec deux points forts. L’énergie, qui a vu les États-Unis redevenir en 2014, pour la première fois depuis 1975, le premier producteur mondial de pétrole avec 11,64 millions de barils par jour (Mbj), contre 11,5 Mbj pour l’Arabie saoudite. La domination sans partage de l’économie numérique et des biotechnologies. Elle a été portée par la stratégie non conventionnelle de la Fed, qui a favorisé la reconstitution de bulles spéculatives et place la relance sous la menace de la hausse des taux qui devrait intervenir à l’automne prochain.
Loin de ressouder la nation et de réveiller le rêve américain, la sortie de crise a avivé les tensions. Barack Obama a consommé tout son crédit politique autour de la réforme de la santé, qui vient d’être définitivement validée par la Cour suprême. L’Obamacare a permis à 16 des 59 millions d’Américains non assurés d’accéder à une couverture santé. Mais les projets de loi concernant le contrôle des armes à feu ou l’immigration ont avorté.
Loin de se réconcilier, la société américaine s’est polarisée et fragmentée. Les inégalités ont fortement augmenté. Le racisme, en dépit de la marche de Selma, a explosé avec la multiplication des bavures policières et des tueries, à l’image de la fusillade de Charleston. Les classes moyennes, déstabilisées par le chômage, le surendettement et la recomposition de l’emploi provoquée par les nouvelles technologies, basculent dans le populisme. La poussée des extrémistes et l’hystérisation de la vie politique ont fait disparaître tout sens du compromis, ce qui a paralysé les institutions de Washington, fondées sur la séparation mais aussi la coopération entre les pouvoirs.
C’est sur le plan extérieur que l’action de Barack Obama apparaît la plus fragile. La sortie des guerres d’Irak et d’Afghanistan, qui actait la fin de l’après-guerre froide, devait être accompagnée d’un repositionnement des États-Unis dans la mondialisation. Or, sous couvert de pivot vers l’Asie, les États-Unis se sont contentés de se désengager massivement. Un nouvel accès d’isolationnisme s’est imposé. Il laisse le monde beaucoup plus chaotique et vulnérable face aux risques stratégiques venant du réveil des empires et de l’islamisme.
Barack Obama a privilégié le retrait militaire sur la recherche de solutions politiques aux conflits afghans et irakiens. Il a ainsi laissé le champ libre au retour des talibans et surtout à l’ascension de l’État islamique, qui est tout autant l’enfant du repli de 2011 que de l’intervention de 2003. Simultanément, le basculement
vers l’Asie a été pris à contre-pied par le réveil de l’impérialisme russe, l’annexion de la Crimée et l’invasion de l’est de l’Ukraine.
La normalisation diplomatique avec l’Iran, le rétablissement des relations avec Cuba, effectif depuis le 1er juillet 2015, ou les progrès dans la négociation du pacte transpacifique ne peuvent masquer le recul des États-Unis et l’affaiblissement de leurs alliances. La Chine a mis à profit le trou d’air américain pour asseoir son influence en Asie en mariant pressions militaires et diplomatie économique autour des nouvelles routes de la soie pour affirmer son leadership sur le Pacifique et l’Indien. La Russie a détruit le système de sécurité de l’Europe et remis en cause les frontières orientales du continent. L’Iran, qui s’est rendu incontournable pour combattre l’État islamique, poursuit la constitution d’un vaste « Chiistan » qu’il entend sanctuariser par l’arme nucléaire. L’État islamique mène un djihad planétaire.
La remontée brutale de l’instabilité et de la violence n’a pas reçu de réponse en raison de la profonde division de l’Occident et de la fragilisation des alliances provoquée par la perte de crédibilité du leadership et de la garantie de sécurité des États-Unis. En dépit d’un budget de 580 milliards de dollars, leur domination des mers, du ciel et de l’espace n’est plus que relative face à l’expansion militaire de la Chine dont le budget croît de 18 % par an ou au réarmement massif de la Russie. Et les États-Unis sont loin d’être à l’abri de surprises dans le domaine de la cyber-guerre. Dans le même temps, l’unité des démocraties est minée par l’utilisation hégémonique du dollar, du droit américain, de l’oligopole du numérique ou de la cyber-surveillance.
Aucune nation ne peut prétendre être une île dans la mondialisation. Barack Obama, qui devait être le héraut du repositionnement des États-Unis dans la société ouverte, a été le président du repli. La puissance des discours s’est fracassée sur le vide de la stratégie et le déficit de leadership, tant vis-à-vis du Congrès que du reste du monde. Le « leading from behind » s’est dégradé en « leading from nowhere ». Pour le plus grand bonheur des populistes et des ennemis de la démocratie.
(Chronique parue dans Le Figaro du 13 juillet 2015)