L’interminable banqueroute de la Grèce vient d’accoucher d’un nouveau plan de sauvetage mort-né. Les deux conditions du maintien du pays dans l’euro ne se trouvent nullement remplies par l’accord bancal du 17 juillet dernier.
En raison de la politique irresponsable d’Alexis Tsipras, l’économie qui renouait avec la croissance a basculé dans la récession et le système bancaire est en faillite sans que soient connues les sommes nécessaires à sa recapitalisation. La dette publique, qui va augmenter jusqu’à 200 % du PIB, est insoutenable. Politiquement, Alexis Tsipras ne dispose plus d’une majorité stable à la Vouli depuis l’implosion de Syriza et l’application effective des réformes paraît très peu probable puisque le premier ministre a d’emblée déclaré ne pas croire au texte qu’il a signé.
Tacite rappelle que « le propre de la nature humaine est de haïr celui qu’on a lésé ». La Grèce va continuer à alimenter la haine de l’Europe qui a une fois encore volé à son secours. Elle ne constitue ni un Lehman Brothers ni un risque systémique pour l’euro. Mais elle exporte le populisme dans tout le continent et représente un péril géopolitique au cœur des Balkans et à proximité immédiate du Moyen-Orient. Surtout, elle accapare depuis 2010 l’agenda et l’énergie des dirigeants européens, qui laissent en déshérence les problèmes clés de l’investissement et du chômage, du contrôle des mouvements migratoires, des relations avec la Russie ou de la lutte contre le terrorisme islamique.
La faillite grecque masque aussi celle de la France qui, elle, constitue un risque systémique pour la zone euro. La France va supporter 20 % du coût du nouveau plan d’aide, soit 17 milliards d’euros sur 86 milliards. Son exposition au risque grec sera portée à 83 milliards d’euros, soit près de 4 % du PIB. Or si nul ne connaît les modalités qui seront retenues pour la restructuration de la dette grecque, il est certain que la majorité de ces fonds ne seront jamais remboursés et grossiront donc la dette publique française.
L’implosion de la Grèce résulte de quatre dynamiques qui sont présentes en France : la désintégration du système productif ; la perte de contrôle des finances publiques ; le refus de réformer un modèle économique et social insoutenable ; le rejet des disciplines indispensables à la survie de l’euro.
La croissance française est désormais nettement inférieure à celle de la zone euro (1,1 % contre 1,8 %). Et ce en raison de l’effondrement de la production marchande, laminée par le déficit de compétitivité, tant en termes de coût que de qualité, ainsi que par la chute de l’investissement – qui se situe 8 % en dessous de son niveau historique – et de l’innovation. D’où un déficit commercial structurel de 2,5 % du PIB.
La dette publique de la France a atteint 2 090 milliards d’euros à fin mars et dépassera 100 % du PIB en 2016. S’y ajoutent 2 500 milliards d’engagements hors bilan de l’État. Les recettes atteignent 53,5 % du PIB tout en affichant d’importantes moins-values en raison de l’euthanasie de l’activité privée et du développement de l’économie clandestine. Les économies sont fictives et les dépenses publiques culminent à 57,5 % du PIB, en hausse de 2 % depuis 2010 alors qu’elles ont diminué de 2 % en Allemagne, de 4 % en Italie, de 6 % au Royaume-Uni et de 13 % en Espagne. La France se trouve donc à la merci d’un choc sur sa dette en cas de remontée des taux d’intérêt, 100 points de base renchérissant son coût de 2,4 milliards la première année et de 40 milliards sur cinq ans.
La France reste le seul pays développé et le seul pays européen à n’avoir réalisé aucune réforme significative de son modèle économique et social depuis 2000. Sa production représente 3,7 % de celle de la planète alors qu’elle redistribue 15 % des transferts sociaux mondiaux. Elle vient d’exiger d’Athènes des changements en matière de retraites, de flexibilité du marché du travail, d’ajustement budgétaire, de réduction de la fonction publique, de justice qu’elle est incapable de réaliser pour elle-même.
La France persiste à refuser d’appliquer les règles et les disciplines qui conditionnent la survie de la zone euro. Tout comme la Grèce, elle prétend conjuguer l’appartenance à la monnaie unique, d’une part, la poursuite d’un modèle de développement fondé sur la dette, d’autre part. Tout comme la Grèce, elle poursuit une stratégie divergente et non coopérative. L’issue est connue : le défaut de paiement. Avec pour conséquence la fin de l’euro car la dette française est trop importante pour être réassurée par le mécanisme de stabilité ou par ses partenaires européens.
En dehors de la Grèce, ruinée par Syriza, les politiques d’ajustement conduites dans la zone euro ont parfaitement réussi en Irlande, au Portugal et en Espagne. À Paris comme à Athènes, le choix décisif doit être tranché entre les réformes ou la sortie de l’euro. Le redressement de la France et la pérennité de la monnaie unique sont indissociables. Ils passent par un pacte productif pour redresser la profitabilité des entreprises, par un pacte social pour améliorer la flexibilité et la productivité du travail, par un pacte citoyen pour réintégrer les jeunes dans la communauté nationale et réhabiliter les valeurs de la République, par un pacte financier pour baisser de 100 milliards d’euros les dépenses publique en cinq ans. Dans une France au bord de la faillite, le mot d’ordre de Jacques Rueff n’a jamais été plus actuel : « Exigez l’ordre financier ou acceptez l’esclavage ! »
(Chronique parue dans Le Figaro du 20 juillet 2015)