La chute vertigineuse de la valeur du pétrole entraîne dans son sillage des pays qui ont construit un modèle économique entièrement fondé sur la rente pétrolière.
Le pétrole a perdu 75 % de sa valeur en dix-huit mois, entraînant un transfert de 3 % du PIB mondial des pays producteurs vers les consommateurs. Au total, ce mouvement reste très favorable à la croissance puisqu’il fait plus de 6 milliards de gagnants pour 1,2 milliard de perdants. Mais l’impact est d’une rare violence sur les pays dépendant de l’exportation des hydrocarbures. À l’exception des États-Unis, qui bénéficient de la vitalité de leur économie et de leur société, ou de la Norvège, adossée aux 730 milliards d’euros de placements de son fonds souverain, la plupart des grands producteurs se sont enfermés dans une situation insoutenable. Ils cumulent une économie de rente, une culture de la corruption et une stratégie d’achat de la paix sociale par des transferts financés par les recettes pétrolières.
La chute des cours, loin d’être éphémère, est durable. Elle résulte de la convergence entre un choc d’offre avec la rupture technologique créée par les hydrocarbures non conventionnels, un choc de demande avec le ralentissement de la Chine, une modification des structures de marché avec la disparition du monopole de l’Opep. Dès lors, les modèles fondés sur la rente pétrolière implosent, déstabilisant les régimes autoritaires avec lesquels ils se confondent, de la Russie au Venezuela en passant par l’Arabie saoudite, qui affiche un déficit budgétaire de plus de 20 % du PIB.
L’Algérie constitue un cas emblématique de cette nouvelle donne. Les ventes d’hydrocarbures, qui représentent 97 % des recettes d’exportation et assurent 70 % des recettes budgétaires, ont fondu de 58 à 22 milliards de dollars entre 2014 et 2016. Les importations, qui couvrent l’alimentation et tous les produits de première nécessité, excèdent 60 milliards de dollars par an. Elles sont pour l’heure financées essentiellement par les réserves de change, qui s’élèvent à 150 milliards de dollars mais diminuent de 50 milliards par an.
Or l’Algérie est un pays jeune, où les trois quarts des 40 millions d’habitants ont moins de 30 ans. La jeunesse est de plus en plus urbaine et connectée avec le reste du monde. Le taux de chômage réel se situe autour de 25 % de la population active et dépasse 50 % pour les jeunes diplômés en dépit de la multiplication des emplois publics. La paix civile n’est maintenue que par le déversement d’aides sociales qui absorbent 26 % du PIB et constituent le dernier lien entre le pouvoir et les citoyens.
Le régime n’est plus malade ; il est à l’agonie, à l’image d’Abdelaziz Bouteflika, mort-vivant embaumé pour assurer un quatrième mandat. Il continue à vivre à l’heure de l’idéologie et des structures des années 1970. L’Algérie n’a dû en 2011 d’échapper aux révolutions du monde arabo-musulman qu’aux séquelles de la terrible guerre civile des années 1990, qui fit 150 000 morts. Mais la société est minée par l’islamisme et le terrorisme demeure endémique. Simultanément, le pouvoir algérien se décompose. la scission des services de renseignement du DRS en trois entités témoignent de la lutte à mort qui oppose désormais le clan Bouteflika, dirigé par le frère du président, à l’armée.
L’Algérie est confrontée à un redoutable dilemme. Son économie fondée sur la greffe d’un État-providence de type européen sur des structures soviétiques est en ruine. Sa société est de nouveau au bord de la guerre civile. Sa dictature militaire est en apesanteur avec la double perte de la foi dans le régime et de la cohérence de l’appareil répressif qui régnait par la terreur. Seules de profondes réformes assurant l’ouverture et la libéralisation de l’économie peuvent permettre d’éviter une faillite programmée à un horizon de deux ans avec l’épuisement des réserves de change. Mais le pouvoir est trop fragile pour ce qu’il a de fort et trop fort pour ce qu’il a de fragile pour réaliser les changements nécessaires. D’où la multiplication des manœuvres de diversion, à l’image de la pathétique révision de la Constitution qui limite à deux les mandats de chef de l’État pendant que le fantôme de Bouteflika flotte au-dessus de sa quatrième présidence et qui exclut de toutes les fonctions publiques les citoyens binationaux.
L’Algérie n’a dû son illusoire stabilité depuis les années 1970 qu’à la rente des hydrocarbures qu’elle a dilapidée. Elle se trouve aujourd’hui à un tournant entre réforme radicale ou explosion. Or son drame est aussi le nôtre. Le basculement de l’Algérie dans le chaos déstabiliserait l’ensemble du Maghreb et provoquerait une vague d’immigration vers l’Europe très supérieure à celle déclenchée par la guerre de Syrie. Ni la France ni l’Europe ne peuvent se désintéresser de l’Algérie et des secousses qui s’y préparent.
(Chronique parue dans Le Figaro du 15 février 2016)
Djamel BELAID
Mr Baverez votre avertissement est salutaire. M’intéressant à l’agriculture, je suis effaré par les archaïsmes. Un exemple: les minoteries reçoivent des quotas de blé de la part de l’office algérien des céréales (OAIC). Mais elles ne peuvent pas en acheter directement aux agriculteurs. Pourtant dans le cas des laiteries, ces dernières peuvent acheter le lait des éleveurs et elles rivalisent d’aides en tout genre pour aider ces éleveurs et les fidéliser. Pourquoi ce qui fonctionne dans le cas du lait n’est-il pas appliquer aux céréales? Il n’y a pas de statut du fermage. De ce fait les agriculteurs qui louent des terres ‘et ils sont nombreux) sont dans l’illégalité. Ils n’ont pas droit aux aides de l’Etat ni aux circuits de ventes officiels ce qui encourage le travail au black… Les exemples sont légion. Pourtant, il suffirait de presque rien… BELAID Djamel (ingénieur agronome).