Les élections européennes marquent un tournant historique. Jamais, même dans les années 1930, l’extrême droite n’avait atteint 40 % des suffrages en France. En prononçant la dissolution, le chef de l’État prend le risque du chaos.
La décision d’Emmanuel Macron comporte une apparence de logique. L’annonce de la dissolution lui permet de faire diversion après une défaite sans précédent et lui évite de subir le vote d’une motion de censure contre le gouvernement dirigé par Gabriel Attal. Elle prend acte de son quinquennat mort-né : en l’absence de projet, de stratégie et de majorité, il ne dispose plus des moyens politiques et institutionnels de présider. Elle entend donner une solution démocratique à une crise politique en se tournant vers les citoyens, comme l’ont fait le président Mattarella en Italie en 2022 après l’implosion de la coalition qui soutenait Mario Draghi, Pedro Sanchez en Espagne en 2023 après sa déroute aux élections régionales ou Rishi Sunak au Royaume-Uni qui vient de convoquer des élections législatives pour juillet devant son incapacité à gouverner.
Pour autant, ce coup de dés qui ne peut abolir la débâcle des élections européennes paraît suicidaire. Il ne répond en rien à l’exigence de l’intérêt national mais se résume à une nouvelle manifestation de l’arrogance et de la légèreté du président de la République.
Nouveau déni de démocratie
En 1962 comme en 1968, le général de Gaulle décida la dissolution pour trancher les crises nées de la motion de censure votée contre le gouvernement de Georges Pompidou puis de la révolution introuvable de mai 1968. En 1981 puis en 1988, François Mitterrand fit de même pour accorder la majorité parlementaire à la majorité présidentielle. En 1997, Jacques Chirac tenta de sauver son Premier ministre, Alain Juppé. En 2024, Emmanuel Macron recourt à la dissolution pour tenter de se survivre, quitte à sacrifier son parti, sa majorité et son pays.
Le moment choisi pour la dissolution comme le rétrécissement à l’extrême du calendrier électoral témoignent d’un nouveau déni de démocratie. Le délai très court, le choix de la période estivale et l’impréparation des forces politiques interdisent tout véritable débat. Les législatives de 2024 se présentent comme une élection volée, à l’instar de la présidentielle de 2017, biaisée par les magistrats, et de celle de 2022, où l’invasion de l’Ukraine fournit le prétexte à l’absence de campagne. Elles constituent, comme les législatives de 2022 et les européennes de 2024, un référendum sur Emmanuel Macron. Or celui-ci, tout en engageant ceux qui l’ont soutenu dans un combat électoral à l’issue presque désespérée, s’exclut par avance de toute sanction en prétendant – non sans illusions – aller quoi qu’il en coûte au terme de son mandat. En mettant les Français au défi de confirmer leur vote des européennes, en surjouant comme en 2017 et en 2022 son duel avec l’extrême droite qu’il n’a cessé de légitimer, en misant sur une stratégie de la carte forcée et sur les peurs face au chaos, Emmanuel Macron pave méthodiquement la route à l’arrivée au pouvoir du RN.
Saut dans l’inconnu
Cette prise de risque paraît d’autant plus irresponsable qu’Emmanuel Macron a fait de la France l’homme malade de l’Europe. Les élections législatives prendront place quelques semaines avant l’ouverture des Jeux olympiques, dont on mesure chaque jour davantage, devant le spectacle de Paris paralysé, éventré, défiguré, les failles béantes d’organisation, qu’il s’agisse de transport, de sécurité ou d’équipements. Surtout, notre pays est sous la menace de crises majeures. Crise financière avec la perte de contrôle d’une dette publique de 3 100 milliards d’euros devenue insoutenable. Crise économique avec la stagnation de l’activité, la chute de la productivité, la remontée du chômage, le carcan du double déficit budgétaire et commercial. Crise sécuritaire avec une explosion de la violence qui touche tous les pans de la société et du territoire. Crise stratégique face aux djihadistes qui ont évincé nos armées du Sahel comme face à la menace des empires autoritaires – l’impuissance à procéder à un véritable réarmement ne permettant pas d’assurer les garanties de sécurité offertes inconsidérément à l’Ukraine, à la Grèce ou à la Moldavie.
La France saute ainsi dans l’inconnu. En guise de clarification, ces élections législatives improvisées dans une période de très grand péril ne laissent guère d’autre issue qu’une chambre ingouvernable, synonyme de retour vers la IVe République, ou une victoire sans appel du RN. Emmanuel Macron trahirait alors définitivement l’engagement qu’il avait pris en 2017 et réitéré en 2022 devant les Français : non seulement il n’aura pas fait barrage à l’extrême droite mais il aura été son meilleur allié ; non seulement il n’aura pas sauvé la République mais il en aura été le fossoyeur. Et ce alors qu’il existait une alternative, qu’il a systématiquement sapée par égotisme et refus de partager le pouvoir, consistant à négocier une grande coalition entre les forces politiques modérées pour rassembler les citoyens autour d’un projet de reconstruction de notre pays.
Moment de vérité
Avec la dissolution, la France et les Français sont devant un moment de vérité. L’arrivée au pouvoir de l’extrême droite à la suite d’élections régulières constituerait une rupture irréversible non seulement dans l’histoire de la Ve République mais dans celle de notre pays.
Il n’y a rien à attendre d’Emmanuel Macron, plus que jamais enfermé dans son narcissisme. Tel Néron, dont la légende veut qu’il joua de la lyre en déclamant des vers sur le toit de son palais devant l’incendie de Rome qu’il avait allumé, il continue à se mettre en scène, célébrant à grand renfort de commémorations ses talents d’acteur devant les brasiers qu’il a lui-même activés, des Gilets jaunes à la Nouvelle-Calédonie.
[…]
Lire la suite de l’éditorial sur lepoint.fr
Chronique parue dans Le Point du 11 juin 2024