Le 7 juillet, la France entrera dans une nouvelle ère, incertaine, volatile et dangereuse. Il revient dès lors aux Français de se réengager dans la vie publique pour restaurer l’esprit des institutions et résister à la colère et aux passions.
La décision irraisonnée d’Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée nationale a plongé la France dans une crise politique sans précédent, dont les seules issues sont soit une chambre ingouvernable, soit l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite à la suite d’élections régulières. Notre pays se trouve ainsi à l’arrêt sur le plan économique, à la merci de troubles sociaux de nature insurrectionnelle à la veille de l’ouverture des Jeux olympiques, sous la menace d’une tourmente financière comparable à celle subie par le Royaume-Uni du fait de Liz Truss, à l’automne 2022. L’aggravation brutale des risques de désintégration de la nation, la paralysie des pouvoirs publics, le discrédit de la France en Europe et dans le monde, l’incapacité psychologique du président de la République de faire face à l’adversité pourraient le contraindre à la démission, ouvrant grand les portes de l’Élysée à Marine LePen.
L’effondrement de la France s’inscrit au confluent de deux évolutions. D’un côté, l’accumulation de quatre décennies de déclin économique et social qui ont conduit à l’explosion du modèle fondé sur la décroissance par la dette publique, puis à une crise sociale, politique et démocratique majeure. De l’autre, la corruption des institutions de la VeRépublique.
Chateaubriand aimait à rappeler que «les institutions passent par trois périodes: celle des services, celle des privilèges, celle des abus». De 1958 à 1981, la VeRépublique fut au service de la reconstruction de la puissance et de l’indépendance de la France, avec pour objectif de conjurer la débâcle de juin1940. De 1981 à 2017, elle a été détournée vers la démagogie et la satisfaction de clientèles électorales à travers l’envol de l’endettement public. À partir de 2017, elle est entrée dans l’ère des abus, en poussant au-delà des limites l’absolutisme présidentiel. Le narcissisme d’Emmanuel Macron l’a fait basculer dans l’autoritarisme, l’arbitraire et l’impuissance en supprimant toute forme de contrepouvoir, en érigeant la transgression en méthode de gouvernement au prix de la destruction de l’État, en poursuivant l’éclatement du système politique et du débat public. Et ce jusqu’à plonger la France dans l’inconnu et à priver d’ancrage des institutions qui avaient fait la preuve de leur solidité et de leur plasticité.
Dans sa conférence de presse du 31janvier 1964, le général deGaulle soulignait que, «une Constitution, c’est un esprit, des institutions et une pratique». Les institutions, bien qu’abîmées par les révisions successives et singulièrement l’instauration du quinquennat, ont facialement survécu. La VeRépublique détient désormais un record de longévité. Mais la pratique a été dénaturée par l’hyper-présidentialisation. Surtout l’esprit s’est totalement perdu.
L’esprit de la VeRépublique consistait à assurer la stabilité, mais non la toute-puissance de l’exécutif et à restaurer le pouvoir de l’État pour pouvoir défendre en toutes circonstances la liberté et la souveraineté de la nation. Et, de fait, la VeRépublique s’est adaptée aux alternances comme aux cohabitations tout en surmontant les nombreux chocs qui se sont succédé depuis sa fondation: guerre et indépendance de l’Algérie, révolution introuvable de Mai68, chocs pétroliers, chute de l’Union soviétique et réunification de l’Europe, krach de 2008 et crise de l’euro. Ce que nul n’avait en revanche imaginé, c’est que, avec Emmanuel Macron, le président de la République, garant des institutions, de la nation et des valeurs de la République, deviendrait le premier facteur de risque et le vecteur du chaos, du mouvement des «gilets jaunes» à la légitimation de l’extrême droite en passant par une dissolution suicidaire et par l’évocation dévastatrice de la guerre civile. C’est ce que les Français, qui ont compris qu’il était le problème et en aucun cas la solution, ont sanctionné par leurs votes successifs.
Pour notre malheur, la perversion de l’esprit et de la pratique de la VeRépublique intervient au cœur d’un mouvement d’accélération de l’histoire. Se cumulent en effet la chute de la France, la vulnérabilité de l’Europe face au renouveau industriel des États-Unis, au dumping de la Chine, à l’implosion de la mondialisation, au retour de la guerre et d’une menace existentielle de la Russie sur notre continent, au risque d’une victoire de Donald Trump, qui annihilerait la réassurance stratégique de l’Amérique, enfin la crise des démocraties, prises en tenaille entre les extrémistes à l’intérieur, les djihadistes et les empires autoritaires à l’extérieur.
La France va donc entrer le 7juillet dans une nouvelle ère, très incertaine, volatile et dangereuse. Elle ne peut plus compter sur Emmanuel Macron. Il a tout misé sur un pari perdu par avance et ne dispose plus d’aucune légitimité ni d’aucune capacité à agir. Même dans l’hypothèse improbable d’un gouvernement de coalition, il sera en situation de cohabitation au sein d’un système qui reste juridiquement parlementaire. Et il emporte dans sa chute libre le macronisme, dont il avait veillé à ce qu’il se confonde avec lui et n’existe que par lui.
La République ne tient plus dès lors qu’à deux fils: les institutions de la VeRépublique et les Français, qui en sont les gardiens ultimes.
Il revient à tous les responsables, à toutes les forces politiques, à tous les pouvoirs et à tous les corps constitués – y compris la magistrature, dont la responsabilité se trouve lourdement engagée dans la décomposition de l’État de droit et de la vie publique – d’appliquer strictement la Constitution. Elle a fait la preuve de son efficacité dans les périodes troublées. Elle seule peut permettre de renouer avec l’ordre républicain et de conjurer la tentation de la violence.
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Chronique parue dans Le Figaro du 1er juillet 2024