Quelle que soit l’issue du scrutin au soir du 7 juillet, le pays, surendetté et surimposé, risque de sortir encore plus fracturé et affaibli face aux périls.
Dans Le Spectateur engagé, Raymond Aron souligne que « l’ignorance et la bêtise sont des facteurs considérables de l’Histoire ». Emmanuel Macron vient d’en faire l’éclatante démonstration : en décidant de dissoudre l’Assemblée, il a suicidé sa majorité et son quinquennat. L’appel à la raison fondé sur un mouvement d’humeur irrationnel a tourné à la débâcle, avec une percée de l’extrême droite sans précédent dans notre histoire.
Les Français se sont bien mobilisés, avec une très forte participation de 67,5 %, mais pour sanctionner le président de la République et réaliser l’alternance. La clarification a bien eu lieu, mais pour liquider le macronisme.
Voyage en terre inconnue
Au terme du premier tour ne restent ouvertes que deux options : une majorité absolue ou quasi absolue du RN ou bien une chambre ingouvernable. Dans tous les cas s’ouvrira une période de cohabitation inédite entre un président discrédité et isolé d’un côté, un gouvernement qui ne tirera sa légitimité et sa survie que de l’Assemblée nationale de l’autre. Dans tous les cas, la France basculera dans l’inconnu et dans une ère à très haut risque.
Les élections législatives de 2024 ont en effet vu se creuser un double grand écart, qui place le pays en apesanteur. Le premier découle de la déconnexion entre les programmes des trois blocs aux prises et la réalité de la situation de la France et du monde. Alors que la France surendettée et surimposée a perdu tout contrôle de ses comptes publics et se trouve au bord de la crise financière, le débat s’est concentré sur les dépenses supplémentaires à mettre en œuvre : 1 % du PIB pour les macronistes, 3 % du PIB pour le RN, 6 % du PIB pour le Nouveau Front populaire (NFP).
Le RN, cousin éloigné des Frères d’Italie de Meloni
Le second fossé sépare la réalité du risque politique que représente la France pour elle-même et pour l’Europe de la perception qu’en ont les marchés, nos partenaires et nos alliés. Tous se rassurent à bon compte en faisant le pari que le RN est en voie de mélonisation accélérée, qu’il n’est plus le parti de la révolution sociale et nationale mais celui de la stabilité, qu’il n’est plus le parti de l’illibéralisme et du Frexit mais celui de l’entreprise et de l’insertion dans le jeu européen.
De plus, contrairement aux Frères d’Italie de Giorgia Meloni, le RN ne dispose ni des équipes politiques et technocratiques, ni du lien intime avec les entreprises qui lui permettraient de gouverner de manière pragmatique et efficace.
Gare au télescopage !
Le télescopage entre les attentes très élevées des Français qui ont voté pour une réelle alternance et le soutien implicite du monde économique et des marchés à un RN mélonisé qui ferait le jeu de la stabilité a donc toutes les chances d’être violent. Et ce d’autant que la France, contrairement à 1981, n’a absolument plus les moyens de s’offrir une expérience radicale de déraison économique.
Jordan Bardella prendrait la tête d’une France cumulant croissance zéro, baisse des gains de productivité, chômage de masse, déficit et dette respectivement de 5,5 % et 110,7 % du PIB.
Un pays sous la menace élevée de violences urbaines et d’attentats terroristes à trois semaines de l’ouverture des Jeux olympiques de Paris 2024. Un pays placé sous haute surveillance par les marchés financiers comme par nos partenaires à travers la mise en œuvre de la procédure pour déficit excessif.
Accordera-t-on ou non une majorité absolue au RN ?
Dans ce champ de ruines et de mines, les Français ne doivent pas pour autant céder au désespoir. Cette crise politique aussi inouïe qu’inutile peut aussi faire naître l’espoir d’un sursaut. Et ce autour de trois horizons de temps. Tout d’abord, les élections ne sont jamais jouées à l’avance. En 1978, la gauche unie conduite par François Mitterrand gagna largement le premier tour, et l’alternance paraissait inéluctable ; pourtant, le second tour donna contre toute attente une majorité à Valéry Giscard d’Estaing.
Ensuite, dans l’hypothèse d’une chambre ingouvernable, il reviendra aux forces politiques modérées ainsi qu’à la société civile de s’engager pour ne pas laisser le pays aller à la dérive et faire primer l’esprit de compromis sur la radicalisation et le fanatisme.
Un réinvestissement sous le signe de la colère
La France n’est ni les États-Unis, où l’existence des cinquante États fédérés et la vitalité de la société peuvent suppléer aux défaillances de Washington, ni l’Italie, dont le parlementarisme fonctionne comme une machine à intégrer et à modérer les extrémistes, ni la Belgique, qui ne se porte jamais mieux que lorsqu’elle n’a pas de gouvernement. Elle ne peut pas laisser s’installer le blocage de ses institutions dans une période critique de l’Histoire où se joue une partie cruciale de son destin comme de celui de l’Europe et de la démocratie au XXIe siècle.
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Chronique parue dans Le Point du 2 juillet 2024