Au terme des élections de 2024, la France reste l’homme malade de l’Europe et elle ne dispose ni d’un projet, ni d’institutions en ordre de marche, ni des forces et du socle politiques pour engager son redressement.
Au moment où la victoire éclatante du Labour de Keir Starmer réhabilite la social-démocratie et referme le cycle populiste du Brexit, la France, au terme de la dissolution décidée contre toute raison par Emmanuel Macron et d’une campagne électorale déconnectée du réel, se trouve placée en apesanteur. En guise de clarification politique, notre pays bascule dans l’inconnu, alors qu’il doit organiser les Jeux olympiques, que la Nouvelle-Calédonie s’embrase à nouveau, que l’économie est à l’arrêt, que la dette publique est mise sous surveillance par les agences de notation, les marchés financiers et nos partenaires européens.
Apesanteur économique. En dépit du déversement de quelque 1 000 milliards de dépenses publiques depuis 2017, la croissance française était inférieure à 1 % avant la dissolution en raison de la persistante faiblesse de l’offre productive, tout particulièrement dans le domaine de l’industrie puisque notre pays ne produit que 36 % des biens manufacturiers qu’il consomme. L’activité est désormais en panne. Dans le même temps, l’exil des capitaux, des entrepreneurs et des talents a brutalement repris. Or les programmes développés par les trois blocs reposaient tous sur une forme de relance keynésienne à hauteur de 1 % du PIB pour la défunte majorité présidentielle, 3 % du PIB pour le RN et 6 % du PIB pour le NFP, relance dont le seul résultat serait de faire exploser les déficits des comptes publics et de la balance commerciale.
Apesanteur financière. Protégée par son caractère systémique au sein de la zone euro, par la stabilité des institutions de la Ve République et par l’efficacité de Bercy pour prélever impôts, taxes et cotisation à hauteur de plus de 52 % du PIB, la dette souveraine de la France a bénéficié d’une forme d’impunité. Notre pays a ainsi pu se financer dans des conditions très favorables tout en perdant le contrôle des dépenses et de la dette publique, passée de 60 % à 111 % du PIB depuis 2000. Ce privilège est aujourd’hui caduc. Depuis 2023, les dépenses ne cessent d’accélérer (dérive de 6 milliards pour les cinq premiers mois de 2024 après 16 milliards en 2023) et les recettes sont inférieures aux prévisions du fait de la stagnation de l’activité (- 1,4 milliard depuis janvier). Par ailleurs, la dissolution a introduit une incertitude radicale au cœur du système politique et conduit les dirigeants allemands à refuser par avance le recours à la BCE et au mécanisme de stabilité en cas de choc sur la dette française. Sauf à augmenter encore les prélèvements, ce qui provoquerait une récession, la seule solution consiste à faire des économies.
Apesanteur sociale. La société française se décompose en raison de la paupérisation de la population, de l’effondrement des services publics et de l’explosion de la violence. La légitime révolte des citoyens devant la désintégration de la nation a été au cœur des élections législatives. Pour autant, elle n’a trouvé aucune autre réponse que, d’un côté, une nouvelle hausse des aides sociales financée par la dette publique – aides dont dépendent déjà de manière déterminante les trois quarts des ménages français pour leurs revenus – et, de l’autre, une dérive autoritaire et une sortie de l’État de droit.
Apesanteur européenne. Tout comme l’Italie, la France a perdu sa souveraineté et ne peut plus se sauver sans l’aide de ses partenaires européens. Depuis le naufrage du Brexit, aucune des principales formations politiques françaises, y compris à l’extrême droite et à l’extrême gauche, ne promeut plus la sortie de l’Union ou de la zone euro. Toutes ont pourtant multiplié les mesures en opposition frontale aux engagements européens ou aux libertés fondamentales de l’Union. La France se trouve ainsi totalement isolée et ses partenaires ne sont pas disposés à lui témoigner la moindre indulgence, dès lors que ses embardées inconséquentes mettent en péril les acquis et les biens communs de l’Union : le grand marché, l’euro et l’État de droit européen. Par ailleurs, sur le plan stratégique et diplomatique, Emmanuel Macron a dilapidé tout le crédit de notre pays auprès de nos partenaires et de nos alliés, par ses prises de position contradictoires sur la Russie puis ses initiatives intempestives sur l’envoi de troupes au sol en Ukraine ou le partage de la dissuasion nucléaire, dont le seul effet fut de fragiliser les démocraties et de renforcer Vladimir Poutine.
Apesanteur politique. La dissolution a libéré la dynamique de la peur, de la haine et de la colère, qui a gangrené la société française. Face à une décision et un calendrier irrationnels, les passions collectives se sont déchaînées. Un gouffre s’est ainsi créé entre les attentes des citoyens, la décomposition du système politique, l’environnement économique, financier et international de notre pays. Jamais, depuis les années 1930, les périls n’ont été aussi grands pour la démocratie et la République. Jamais depuis les années 1930, les dirigeants n’ont été aussi délégitimés, les institutions aussi impuissantes, l’État aussi affaibli.
Au terme des élections de 2024, la France reste l’homme malade de l’Europe et elle ne dispose ni d’un projet, ni d’institutions en ordre de marche, ni des forces et du socle politiques pour engager son redressement. Le télescopage sera frontal entre la bulle idéologique dans laquelle le président de la République a enfermé notre pays et les réalités que portent le durcissement des marchés financiers, l’éclatement de la mondialisation, le défi de la transition climatique, l’impératif du réarmement face à la menace existentielle qui émane de la Russie et des empires autoritaires.
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Chronique parue dans Le Figaro du 8 juillet 2024