Alors que la mondialisation se fragmente sous la pression du protectionnisme et que la violence sort de tout contrôle, l’Europe est vulnérable. Elle se trouve enfermée dans une longue stagnation économique et a montré, sur le plan stratégique, son impuissance diplomatique et militaire.
À l’exception du Mexique, l’Amérique latine, contrairement à l’Asie, est de nouveau en passe d’échouer à faire décoller son économie et à acclimater la liberté. Et elle le doit moins à l’accumulation des chocs extérieurs – du krach de 2008 à la guerre d’Ukraine en passant par le Covid – qu’à la malédiction de l’autoritarisme et du populisme qui menacent de faire basculer le continent dans le chaos.
Le Venezuela est emblématique des pathologies sud-américaines. Alors qu’il dispose des premières réserves pétrolières du monde (300 milliards de barils) et regorge de gaz, d’or, de bauxite, de fer ou de nickel, le pays a vu son PIB chuter de 80 % entre 2013 et 2022, pour ne plus représenter que 10 % de celui de la France, contre 72 % en 1980. L’inflation a atteint 360 % en 2023. Le défaut sur la dette extérieure a réduit à néant le bolivar. La population a basculé à 90 % dans la grande pauvreté, souffrant de la famine, de l’absence des produits de première nécessité, de l’effondrement du système de santé, qui entraîne la multiplication des épidémies. Le pays est livré à l’anomie, à la corruption et à une violence extrême, les gangs contrôlant plus de la moitié du territoire. Dès lors, 7 millions de Vénézuéliens sur une population de 29,7 millions ont choisi l’exil – dont 58 % sont jeunes et qualifiés -, déstabilisant tous les pays du continent.
La ruine du Venezuela résulte entièrement de la révolution bolivarienne lancée par Hugo Chavez. Elle a connu trois stades : la collectivisation des moyens de production, le contrôle des prix et des changes afin de financer les aides sociales et de soutenir les pays hostiles aux États-Unis ; l’instauration d’une dictature implacable par Nicolas Maduro ; la criminalisation de l’État et la balkanisation du pays. Nicolas Maduro a cherché, à partir de 2023, à masquer la faillite du régime en revendiquant la souveraineté de la région de l’Essequibo, riche en pétrole, qui représente les deux tiers du territoire du Guyana voisin et en menaçant de l’envahir.
Une bouffée d’oxygène a été apportée par la levée partielle des sanctions américaines, à la suite de la guerre d’Ukraine, ce qui a permis à Chevron de relancer la production de pétrole, totalement désorganisée par la prédation de la compagnie nationale PDVSA, pour la porter autour de 800 000 barils par jour, contre 3 millions en 2013. Le régime a aussitôt confisqué la totalité des recettes, notamment pour acheter les votes en vue de l’élection présidentielle du 28 juillet. Elle est marquée par la répression féroce de l’opposition dont le leader, Maria Machado, a vu sa candidature interdite par le Tribunal supérieur de justice en janvier.
À Cuba, de même, le communisme a détruit l’État, l’économie et la société. L’agriculture ne produit plus rien et l’île doit importer la totalité de ses besoins alimentaires. L’industrie, hors d’âge, a disparu. Le tourisme recule. La dette extérieure dépasse 110 % du PIB. La seule source de devises provient de la mise à disposition d’États étrangers de services de sécurité et de personnel de santé. La richesse par habitant plafonne à 2 400 dollars par an et la population est condamnée à la famine, à l’absence de soins, aux coupures d’eau et d’électricité. Le régime en a été réduit à faire appel au programme alimentaire de l’ONU pour obtenir du lait afin de remédier à la malnutrition infantile. La société est gangrenée par la criminalité et la drogue. Les Cubains se soulèvent régulièrement, mais en vain, pour protester contre le manque de nourriture, de travail et d’argent. Leur seul espoir est la fuite et 425 000 d’entre eux, sur 11,2 millions, ont risqué leur vie pour fuir le pays entre 2021 et 2023.
L’Argentine, pour sa part, montre combien est difficile et coûteuse la sortie du populisme. Il s’est incarné dans le justicialisme, qui, de Juan Peron aux époux Kirchner, a allié pouvoir autoritaire, mépris pour l’État de droit, mise en œuvre d’une troisième voie entre le capitalisme et le socialisme, étatisation et redistribution des richesses. L’Argentine a ainsi chuté depuis 1950 du 9e au 26e rang des économies mondiales et de la 12e à la 70e place pour la richesse par habitant. Le pays s’est vénézualisé, faisant basculer 40 % de sa population dans la pauvreté.
Javier Milei a été élu pour engager une thérapie de choc qui, seule, peut sauver le pays. Le plan de réformes voté en juin 2024 prévoit le démantèlement du corporatisme d’État, des privatisations massives, la flexibilité du marché du travail, des incitations fiscales et douanières pour les investissements étrangers. Simultanément, les dépenses publiques ont été coupées de 35 %, 50 000 postes de fonctionnaires ont été supprimés, l’encadrement des loyers a été démantelé. Les premiers résultats positifs apparaissent avec le retour à l’équilibre du budget pour la première fois depuis seize ans, la diminution de l’inflation de 25 % à 5 % par mois, la perspective d’une reprise de l’activité de 5 % en 2025. Mais le prix à payer pour le redressement est exorbitant en termes de production, de chômage et de pauvreté.
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Chronique parue dans Le Figaro du 22 juillet 2024