Avec Emmanuel Macron, notre pays, qui était la clé pour traiter des enjeux africains, est devenu un repoussoir dont tous se détournent. Le naufrage français coupe ainsi l’Europe d’un continent décisif pour son avenir.
La commémoration par le Rwanda du trentième anniversaire du génocide a été marquée par un nouveau crash de la diplomatie française. Après son discours de Kigali de 2021, Emmanuel Macron avait décidé à raison de ne pas assister aux commémorations. Mais il a enregistré une vidéo stupéfiante, dont l’Élysée a annoncé le contenu avant de se rétracter, dans laquelle il assurait que« la France avait les moyens de savoir et d’agir » et qu’elle « aurait pu arrêter le génocide et n’en a pas eu la volonté ». Soit la reconnaissance de la complicité de notre pays dans le génocide des Tutsis. Et ce au mépris des faits et du droit.
Au Rwanda comme lors de la chute du mur de Berlin, les erreurs de la diplomatie de François Mitterrand méritent d’être critiquées. Mais la vérité impose de rappeler que le tribalisme au Rwanda a été institutionnalisé par la Belgique et non par la France, que notre pays fut le seul à porter la tragédie devant les Nations unies face au déni de la communauté internationale, puis à intervenir pour tenter d’arrêter les massacres. La France seule ne pouvait empêcher l’extermination de 800 000 Tutsis. Elle sert de bouc émissaire à l’indifférence du monde à l’égard du pire génocide depuis celui des Khmers rouges, au Cambodge.
La diplomatie de la repentance conforte ainsi la légitimité du régime de Paul Kagame, autocrate dont le bilan est partagé. Il a rétabli la paix civile et transformé le Rwanda en tigre africain avec une croissance de 8,2 % au cours de la dernière décennie, une hausse du niveau de vie de 5 % par an, le dynamisme de fonds qui investissent sur tout le continent, mais au prix de la modification de la Constitution pour assurer son maintien au pouvoir jusqu’à 2034, de la suppression des libertés et d’une répression impitoyable de toute opposition. Fort de la qualité de son armée, il s’est transformé en gendarme de l’Afrique centrale, contribuant à stabiliser la Centrafrique ou le Mozambique désarmé face à la poussée des djihadistes, mais profitant aussi de la faiblesse de la RDC pour intervenir au Kivu et piller ses ressources naturelles, jusqu’à devenir un exportateur significatif des matières premières dont son pays est totalement dépourvu.
Au Sénégal, l’élection à la présidence de Bassirou Diomaye Faye, le 24 mars, dès le premier tour, avec 54,28 % des suffrages, suivie de la nomination d’Ousmane Sonko comme premier ministre, constitue un séisme politique et ouvre un changement d’ère. La démocratie sénégalaise a fait preuve de résilience, en déjouant les manœuvres de Macky Sall pour se présenter pour un troisième mandat ou prolonger le second. Les nouveaux dirigeants ont modéré le populisme de leurs discours de campagne, en soulignant la nécessité de préserver l’intégration économique régionale que permet la Cedeao et en insistant sur la réforme du franc CFA plutôt que sa liquidation. La rupture n’en demeure pas moins majeure et le risque de déstabilisation de l’Afrique de l’Ouest élevé, sous la pression de dirigeants populistes, d’une opinion radicalisée et d’activistes soutenus par les empires autoritaires.
Simultanément, le Sahel bascule dans le chaos autour des États effondrés du Mali, du Burkina Faso et du Niger. La Russie, à travers Wagner, n’assure que la sécurité des juntes en échange de la mise en coupe réglée des richesses minières, laissant le champ libre aux djihadistes alliés aux Touaregs, qui contrôlent désormais 60 % de leur territoire, transformé en vaste Sahelistan. Coupée de l’aide et des financements internationaux, l’économie s’effondre et la pauvreté explose, ne laissant pour seul avenir à la population que l’émigration de masse vers l’Europe.
Les présidences d’Emmanuel Macron sont ainsi placées sous le signe de l’expulsion de la France d’Afrique, en même temps qu’elles actent son déclassement diplomatique et stratégique. Notre pays a volontairement ignoré les changements intervenus en Afrique, qu’il s’agisse de l’insertion dans la mondialisation, de la constitution d’une classe moyenne, de la soif de souveraineté de la jeunesse d’un continent dont l’âge moyen de la population est de 19 ans, de la poussée des tyrannies du XXIe siècle, la Russie sur le plan militaire, la Chine sur le plan économique, la Turquie et les émirats du Golfe sur le plan religieux.
Nos services de renseignements n’ont anticipé ni les coups d’État ni la fièvre populiste. Nos armées, en dépit de leurs remarquables succès tactiques, n’ont pu empêcher une double défaite stratégique face aux djihadistes et à la Russie. Notre diplomatie s’est refusée à écouter les gouvernements et les sociétés d’Afrique pour répondre à leurs préoccupations concrètes : sécurité alimentaire, accès à la santé et à l’éducation, valorisation des formidables ressources du continent, notamment en énergie, et financement du développement. Nos entreprises ont accepté d’être marginalisées et exclues d’un continent qui ne représente plus que 2 % de leurs exportations.
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Chronique parue le 15 avril 2024