L’éclatement de la mondialisation a un coût très élevé en termes de pertes de croissance et d’emplois comme de hausse de la pauvreté. Ne l’aggravons pas par la polarisation idéologique des entreprises.
Le capitalisme, comme le soulignait Karl Marx, engendre des crises avec l’inexorabilité d’une loi de la nature. Mais, tel un caméléon, il dispose aussi de la capacité de se transformer pour les surmonter. Ainsi, depuis le début du XXe siècle, se sont succédé le capitalisme libéral et libre-échangiste, l’économie de guerre, la régulation keynésienne puis la mondialisation dérégulée.
Le capitalisme se trouve de nouveau à la veille d’une grande crise. Le maintien de cours boursiers et de profits record est en effet incompatible avec la stagnation de la productivité, la chute de la croissance, le retour de l’inflation, le surendettement public et privé. Et ce d’autant que le régime de croissance est télescopé par quatre mutations fondamentales : le retournement du cycle de désinflation et de baisse des taux d’intérêt ; la révolution de l’intelligence artificielle ; la transition climatique ; la montée en flèche des tensions géopolitiques qui provoquent l’éclatement de la mondialisation et sa recomposition autour de blocs commerciaux, technologiques, financiers, normatifs, politiques.
Sous ces transformations pointe une nouvelle reconfiguration du système économique mondial impulsée par les Etats-Unis. Elle est portée par la technologie, la transition écologique et la réindustrialisation pilotée par l’IRA d’une part, le soft power fondé sur le rôle du dollar, la puissance de Wall Street et l’extraterritorialité du droit américain d’autre part. Elle se fixe pour objectifs la reconstitution du leadership des Etats-Unis face à la Chine et la remise en route de la démocratie grâce à la stabilisation des classes moyennes.
Mais le renforcement indéniable de la puissance économique des Etats-Unis grâce au dynamisme des secteurs de l’énergie, de la technologie, de l’armement et de l’agriculture s’accompagne d’un éclatement du capitalisme sous l’effet de la guerre culturelle. Partie des universités, elle a divisé la société et corrompu la politique avant d’envahir les entreprises par deux biais : les revendications identitaires d’une part ; la responsabilité sociale et environnementale d’autre part.
Dans les deux cas, la pression des militants sur les entreprises les place dans une tenaille infernale entre progressistes et conservateurs.
Tous s’appuient sur les réseaux sociaux pour lancer des campagnes faisant une large place à la désinformation et débouchant sur des appels au boycottage, des procédures judiciaires voire des actions ouvertement violentes.
Le wokisme, qui constitue une machine à segmenter la société en ramenant les individus à leur identité, peut sembler le meilleur allié du marketing, a fortiori à l’ère des technologies numériques et du commerce en ligne qui permettent de cibler chaque consommateur.
L’enfermement identitaire et la mobilisation créent naturellement des clientèles captives. La déconstruction est idéale pour permettre à de nouveaux entrants d’innover et de s’imposer.
Mais le choc en retour est dévastateur. Les entreprises qui tentent de mettre à profit les passions collectives en faisant le jeu des activistes n’ont pas manqué de subir des rétorsions. La polarisation se révèle tout aussi destructrice pour le marché que la politisation pour la science.
Cette partition du capitalisme pèse sur la croissance et sur l’emploi. Elle freine l’indispensable transition écologique qui passe par la transformation du modèle de l’ensemble des entreprises et par la mobilisation des capitaux privés. Elle met aussi la démocratie en grand danger en installant un climat de guerre civile.
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Chronique parue le 3 juillet 2023