La Corée du Sud est fragilisée par la guerre froide entre la Chine et les États-Unis. Ces tensions pourraient bien jouer en faveur de l’Europe.
Alors que la géopolitique effectue un retour en force, la Corée du Sud se déploie sur tous les fronts. Le président Yoon Suk-yeol est ainsi venu à Paris défendre la candidature de Busan pour l’Exposition universelle de 2030, quelques jours après que la Corée du Sud a été l’invitée d’honneur du salon Vivatech. Le dynamisme des start-up constitue désormais l’autre face du miracle coréen, qui s’est longtemps confondu avec la puissance des chaebol, ces conglomérats familiaux inspirés par les zaibatsu japonais qui ont porté le formidable développement du pays.
En 1953, la Corée sortit de la guerre à la fois divisée, exsangue – avec plus de 150 000 morts parmi les militaires et de 1 million parmi les civils – et ruinée, avec des destructions s’élevant à deux ans de revenu national et un PIB par habitant ramené à 60 dollars par an. Un rapport de prospective de l’ONU la vouait alors à faire partie des dix nations les plus pauvres du monde en 2000 quand l’Algérie était promise à figurer parmi les dix plus riches.
Séoul, ville-monde
Aujourd’hui, avec 51,6 millions d’habitants, la Corée du Sud est la 13e puissance économique mondiale – alors que l’Algérie est reléguée au 58e rang – et le 7e exportateur. Le PIB par habitant s’élève à 35 000 dollars par an. Séoul, avec ses 9,95 millions d’âmes, est devenue une ville-monde. La Corée, dont 97 % de la population est munie d’un smartphone, est le premier pays entièrement équipé de la 5G et s’affirme comme le 5e marché d’e-commerce de la planète.
Forte d’un taux record de 70 % des 25 à 34 ans diplômés de l’enseignement supérieur et d’un effort de recherche qui atteint 4,8 % du PIB, elle a conquis des positions majeures dans l’acier, la construction navale, l’automobile, l’électronique, l’électroménager, le nucléaire civil, mais aussi dans le numérique et les semi-conducteurs, les véhicules et les batteries électriques, les éoliennes, l’espace ou l’armement – où elle figure en 5e place avec 17 milliards d’exportations en 2022. Simultanément, elle a projeté son soft power sur tous les continents, de la K-pop à l’art contemporain en passant par les séries, les films, la mode, la cosmétique ou la gastronomie.
Cet extraordinaire essor est tout entier le fruit du travail, de l’intelligence et de la volonté des Coréens. Réinterprétant le modèle de développement japonais en vol d’oies sauvages, ils ont fait les paris gagnants de la croissance par les exportations à partir de 1960, puis de l’industrialisation, de la montée en gamme, de la libéralisation et de l’internationalisation, des nouvelles technologies et de la transition écologique, enfin. Et ce en s’appuyant sur deux atouts : un État stratège qui donne la priorité à l’investissement et à l’innovation, à l’image du plan de 53 milliards de dollars pour développer les semi-conducteurs, les batteries, les nanotechnologies et l’intelligence artificielle – et qui a démontré son efficacité par sa gestion remarquable de la pandémie de Covid ; un partenariat étroit entre l’État et les chaebol qui furent les vecteurs de l’industrialisation, de l’internationalisation et de la recherche (le budget de R & D de Samsung représente 1,1 % du PIB de la Corée).
Le miracle coréen reste cependant fragile. Le premier risque est démographique, avec l’effondrement de la natalité à 0,78 enfant par femme, ce qui implique une diminution de la population entre 32 et 38 millions à l’horizon 2070. Cette dénatalité est directement liée au statut des femmes, dont les salaires sont inférieurs de 31 % à ceux des hommes. Elle renvoie aussi aux tensions d’une société hypercompétitive, où le taux de suicide est le plus élevé de l’OCDE (26 pour 100 000 habitants en 2021). Le poids des chaebol a aussi pour effet pervers d’étouffer les PME et d’entretenir la corruption, comme l’ont montré la destitution et la condamnation de la présidente Park Geun-hye en 2017 sous la pression des citoyens.
Escalade de provocations de Kim Jong-un
Le principal péril pour la Corée du Sud reste géopolitique. Avec l’échec des ouvertures de la politique du rayon de soleil, les tensions avec la Corée du Nord remontent en flèche. Kim Jong-un, confronté à l’effondrement de son économie, s’est engagé dans une escalade de provocations avec 72 tirs de missiles en 2022 et le test de missiles balistiques intercontinentaux Hwasong-18 en 2023, non sans avoir interrompu les communications entre responsables militaires du Nord et du Sud.
Le plus grand défi ne résulte cependant pas de la dictature de Pyongyang mais de la guerre froide entre les États-Unis et la Chine. La Corée du Sud se trouve écartelée entre la garantie de sécurité américaine, indispensable pour faire face à la Corée du Nord, et l’accès au marché chinois qui constitue la première destination de ses exportations. La situation se dégrade rapidement avec les menaces d’invasion de Taïwan et la volonté de Pékin d’exclure les États-Unis du Pacifique. Elle est marquée par la multiplication des incidents maritimes et aériens, le refus de toutes mesures de confiance, un déni d’accès aux territoires et aux espaces revendiqués par la Chine au mépris du droit international qui s’est exprimé au Forum de la sécurité de Singapour, avec une particulière brutalité sous la forme du slogan « Pour nos amis des fleurs, pour nos ennemis des balles de fusil ».
La confrontation entre les États-Unis et la Chine entraîne la partition du monde, la reconfiguration des échanges mondiaux autour de blocs et la fermeture des marchés à travers les sanctions réciproques. L’alignement – matérialisé par le stationnement de batteries THAAD – de la Corée du Sud aux États-Unis, qui parrainent le rapprochement avec le Japon dans l’objectif de former une alliance trilatérale face à la Chine, comme le soutien apporté à l’Ukraine, a déjà pour effet la baisse des exportations coréennes et l’enregistrement en 2022 du premier déficit commercial depuis un quart de siècle à hauteur de 47 milliards de dollars.
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Chronique du 24 juin 2023