La stagflation menace notre pays, plombé par la dette. Seul un retour de la croissance, indispensable, saurait aboutir au plein-emploi.
Sous l’éloge de la résilience de notre économie, dont l’activité a progressé de 0,2 % au premier trimestre, de la célébration de son attractivité lors du sommet de Versailles autour des 13 milliards d’investissements étrangers, des records du CAC 40 grâce aux géants du luxe, de la mise en scène du retour au plein-emploi pour 2027, pointe l’entrée de la France dans la stagflation.
Loin d’être protégée, notre économie se trouve rattrapée par l’enchaînement des crises et freine brutalement. En 2023, la croissance plafonnera à 0,3 %. L’inflation atteindra 5,5 %. Le chômage repartira à la hausse pour toucher 8 % de la population active à la fin de l’année, notamment en raison des destructions d’emplois liées aux faillites – en hausse de 45 % au premier trimestre. Le déficit public et celui de la balance commerciale dépasseront 5 % du PIB.
Le ralentissement découle tout d’abord de la panne de tous les moteurs de l’activité. La consommation des ménages reculera de 1,3 % en raison de la baisse de 0,4 % du pouvoir d’achat et de l’effondrement de la confiance. Les entreprises, dont les marges sont laminées par la hausse des charges, n’auront d’autre choix que de couper dans leurs investissements et leurs effectifs, à l’exception des filières du luxe, de l’aéronautique et de l’armement. La hausse des taux d’intérêt pèsera de plus en plus fortement, notamment sur le secteur de l’immobilier, qui connaît un krach larvé touchant simultanément les marchés du résidentiel, du commercial et du bureau – en chute de 34 % -, comme sur le secteur bancaire.
Par ailleurs, l’environnement international continuera à se durcir sous l’effet des tensions géopolitiques qui font éclater la mondialisation en blocs et provoquent le retournement des échanges mondiaux. Dans le même temps, nos entreprises sont prises en tenaille par leurs concurrentes américaines, dopées par l’IRA, chinoises, de retour sur les marchés mondiaux à grand renfort de dumping pour contourner l’atonie de la demande intérieure, et allemandes, qui se réorientent vers le grand marché à la suite de la fermeture des Brics.
Permanence des chocs
La situation est d’autant plus préoccupante que le trou d’air de l’économie française n’est pas temporaire mais durable. Les chocs ne sont en effet pas une exception mais un régime permanent : il est donc vain de tabler sur un retour vers la mondialisation et la société ouverte qui dominèrent les premières années du XXIe siècle. Surtout, la stagnation de l’activité renvoie aux maux structurels de notre système économique et social : le ralentissement et le vieillissement démographiques ; le décrochage à long terme de la productivité en raison de l’affaiblissement du capital humain et de la recherche ; la désindustrialisation et le déclassement de l’offre française ; l’effondrement des services publics de l’éducation, de la santé, des transports, de la police et de la justice ; le surendettement public et privé ; la paupérisation de la population ; l’ensauvagement de la société ; l’impuissance de l’État et le dérèglement des institutions.
La chute de la croissance rend caduques les promesses de retour au plein-emploi, de passage du déficit public sous le seuil de 3 % ou de diminution de la dette à l’horizon 2027. Elle acte l’insoutenabilité du modèle de décroissance à crédit, fondé sur l’éviction de la production par la consommation, financée par la dette et soutenue par les importations à bas coût au détriment de l’emploi. Elle ne permet pas le financement des services publics et de l’État-providence qui absorbent 58 % du PIB, pas plus que des investissements requis pour la transition climatique, la souveraineté et la sécurité de la nation. Elle approfondit la paupérisation des classes moyennes, alimentant le populisme. Elle rend inéluctable un choc financier sur notre pays, plombé par une dette de 3 000 milliards d’euros dont la charge dépassera 70 milliards en 2027.
L’enfermement de l’économie française dans la stagflation témoigne de l’échec de la politique économique conduite par Emmanuel Macron. Face à la multiplication des crises, il a endetté l’État de plus de 700 milliards d’euros non pour reconstituer une offre compétitive, pour moderniser l’État et pour renforcer la résilience de la nation mais pour distribuer du pouvoir d’achat fictif au nom du slogan « quoi qu’il en coûte ». Des Gilets jaunes à la réforme des retraites en passant par la pandémie de Covid, il a cherché à acheter la paix sociale en distribuant sans fin des chèques aux ménages. Il a laissé se poursuivre, quand il ne l’a pas accéléré, le travail de sape des filières d’excellence française, de l’industrie nucléaire à l’agriculture en passant par la santé, l’automobile ou la construction. Il a enfermé les entreprises françaises, au nom d’une conception décroissante de l’écologie, dans un carcan réglementaire meurtrier pour l’activité et pour l’emploi.
La rente illusoire de la France
La croissance n’est pas une relique barbare de la société industrielle. Elle est la condition première du rétablissement du plein-emploi, de la pérennité de l’État-providence, de la stabilisation des classes moyennes et de la restauration de notre souveraineté. Mais elle doit être qualitative et non quantitative. Elle ne peut plus être fondée sur la hausse de la dette publique, qui constitue aujourd’hui un frein à l’activité et non plus un moteur, un facteur de risque et non de stabilité. Le cumul des chocs sanitaire, énergétique, alimentaire, financier et stratégique constitue ainsi la dernière chance de moderniser notre modèle économique en le réorientant vers la production, le travail et l’innovation.
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(Chronique parue dans Le Point du 29 mai 2023)