Emmanuel Macron a placé son dix-huitième voyage en Afrique au Gabon, en Angola, au Congo et en RDC sous le signe de la fin de la Françafrique dont il a déclaré à Libreville que « l’âge est bien révolu ».
Sa formule fait écho à son discours de Ouagadougou, en 2017, affirmant : « Il n’y a plus de politique africaine de la France. » Force est de constater qu’en 2023, il n’y a plus de politique française en Afrique et que la France a perdu l’Afrique. Mais l’Afrique et la France n’y ont rien gagné. Pour l’Afrique, comme pour la France et pour l’Europe, Emmanuel Macron excelle à déconstruire mais peine à reconstruire. Son diagnostic est aussi juste que son action inconsistante, paralysée par la logique mortifère du « en même temps ».
La France, après dix ans d’un engagement militaire majeur qui a coûté la vie à 58 de ses soldats et mobilisé 1 milliard d’euros par an, a été piteusement expulsée du Mali en 2022. Il en est allé de même en Centrafrique et au Burkina Faso. Militairement, l’opération Barkhane au Sahel, en dépit des succès tactiques obtenus contre les groupes djihadistes, se conclut par un échec politique, stratégique et moral majeur. Le djihadisme s’étend vers le golfe de Guinée et reconstitue la capacité à projeter depuis le Sahel des commandos vers la France et l’Europe. Le ressentiment contre la France, porté par la stratégie de désinformation de la Russie, les activistes et les réseaux sociaux, se diffuse dans tout le continent. La Russie, à travers la légion Wagner, prend le contrôle politique et économique des États sahéliens. Enfin, le narratif russe s’impose, 21 pays africains sur 55 s’étant abstenus ou n’ayant pas pris part au vote de l’Assemblée générale de l’ONU qui a condamné l’invasion de l’Ukraine.
L’expulsion de la France d’Afrique ne répond pas à une stratégie, comme le repli du Royaume-Uni à l’ouest de Suez après 1956 ou le désengagement des États-Unis du Moyen-Orient après la reconquête de leur autonomie énergétique. Il est subi, inscrit au confluent de plusieurs évolutions. L’Afrique, participant à l’émergence du Sud, est devenue un acteur autonome de la mondialisation : la Chine s’affirme comme son premier partenaire commercial et son principal financeur ; ses élites comme sa jeunesse se vivent à la fois comme pleinement africaines et ouvertes sur un monde qui ne se limite plus aux anciennes puissances coloniales. Le recul de la démocratie et la multiplication des coups d’État valorisent les empires autoritaires et font de la France un bouc émissaire idéal pour les juntes, à l’image de l’État burkinabé qui ne contrôle plus que 60 % du territoire et reste impuissant devant le déplacement de 10 % de sa population. Surtout, l’Afrique fait l’objet d’investissements massifs de la Chine, dont les exportations ont été multipliées par vingt au cours de la dernière décennie, de la Russie, premier fournisseur d’armes et fournisseur majeur de blé pour le continent qui lui permet de prouver qu’elle est loin d’être isolée par les sanctions occidentales, et de la Turquie, qui conjugue mercantilisme et prosélytisme religieux.
Sur le plan économique, notre pays acquitte le prix de son déclassement et de la chute de ses parts de marché mondiales. Les activités françaises stagnent et demeurent liées aux rentes dérivées des États plus qu’à l’initiative privée, à l’innovation et à la montée des classes moyennes. Le surendettement limite les capacités de financement et ouvre un vaste espace à la Chine. La situation du franc CFA est emblématique, qui voit Paris ne plus siéger au conseil des banques centrales ni gérer leurs réserves, mais continuer à garantir la parité et la convertibilité de la monnaie. Sur le plan militaire, l’échec de Barkhane s’accompagne de la dénonciation des interventions vécues comme des ingérences en Côte d’Ivoire (2002), en Libye (2011) et au Mali (2013). Sur le plan du soft power, la France a abandonné la défense de sa langue, de sa culture et de son droit. Enfin, la politique africaine de la France est devenue illisible, l’insistance sur la démocratie et la société civile allant de pair avec la prime à la stabilité politique des dictateurs et de leurs héritiers – du Tchad au Gabon en passant par le Congo.
La politique africaine ne peut reposer seulement sur la sécurité, mais peut encore moins l’ignorer, alors qu’elle demeure la première condition de la paix civile et du développement. La sécurité n’est pas un anachronisme mais une priorité.
En Afrique comme en Europe, l’origine des problèmes se trouve dans le déclassement de la France et la solution dans son redressement.
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