Le bilan du conflit est sans appel. Il faut d’urgence réarmer l’Europe et la France. Notre pays, surendetté et affaibli, a tout à reconstruire.
Un an après son déclenchement, la guerre en Ukraine est entrée dans une phase d’attrition. L’heure est moins que jamais à la diplomatie mais à la gestion d’une guerre de longue durée. D’un point de vue militaire, le conflit a rappelé le rôle crucial de la dissuasion nucléaire, qui a permis à la Russie de sanctuariser son agression. Il a réhabilité l’artillerie tout en montrant l’importance décisive des drones et de la guerre de l’information. Enfin, la résistance héroïque de l’Ukraine est indissociable de la mobilisation d’une nation pour défendre sa souveraineté et d’un peuple pour préserver sa liberté. D’un point de vue stratégique, la guerre en Ukraine ouvre une nouvelle ère caractérisée par la confrontation entre les démocraties et les empires autoritaires ainsi que l’autonomisation du Sud. L’Europe fait face à une menace vitale émanant de la Russie, mêlant guerre de haute intensité contre l’Ukraine et guerre hybride contre l’Union et le Royaume-Uni. Elle entraîne un ensauvagement du monde, marqué par le démantèlement des institutions et des règles qui avaient été mises en place pour encadrer la violence.
Les États-Unis, qui n’ont ni voulu ni provoqué cette guerre, dont la responsabilité incombe entièrement à la Russie, en sont les grands bénéficiaires. Leur économie se trouve relancée par les secteurs de l’énergie, de la technologie, de l’armement et de l’agriculture. Le soft power fondé sur le dollar, la finance et l’extraterritorialité du droit américain est conforté, la garantie de sécurité fondée sur la dissuasion, élargie, et les alliances est plébiscitée en Europe comme en Asie.
La Chine pourrait disposer à terme d’un atout majeur en mettant la main sur les richesses de la Russie en sources d’énergie et en matières premières, mais connaît un brutal trou d’air lié au désastre sanitaire de sa stratégie zéro Covid, à son déclin démographique, à l’effondrement de sa croissance, tombée de 9,5 à 3 %, à la protestation larvée de sa société contre le retour au maoïsme opéré par Xi Jinping et à la défiance qu’elle suscite dans le monde.
La Russie est la première victime de la catastrophe qu’elle a déclenchée. Elle s’est enfermée dans une impasse militaire, démographique, économique, politique et stratégique qui pourrait compromettre l’unité de la fédération et remet son destin entre les mains de la Chine. L’Europe compte également parmi les grands perdants. Elle subit tous les coûts du conflit, du choc énergétique à l’accueil des réfugiés, et n’échappera pas à la récession. Elle se découvre vulnérable, désarmée face à l’impérialisme de Moscou, dépendante de la Russie pour l’énergie, de la Chine pour les biens essentiels, des États-Unis pour la technologie et la sécurité. Sa faillite est aussi intellectuelle et morale, avec la dissipation sanglante de l’illusion selon laquelle le commerce avec les dictatures assurerait la paix. La guerre en Ukraine a aussi prouvé que les empires autoritaires n’étaient pas invincibles et que les démocraties n’étaient pas vouées au déclin et à la disparition. Mais le réveil des nations libres, à la merci de leurs troubles intérieurs, est fragile.
Pour rétablir la paix, il faut d’abord gagner la guerre en Ukraine. L’agression russe doit être sanctionnée, sauf à mettre en très grand danger la souveraineté et la liberté de l’Europe. D’où l’urgence de fournir à Kiev les armes qui lui permettront de repousser l’offensive russe. Mais l’objectif reste la stabilisation du continent. Un conseil devrait donc être créé entre les États-Unis, le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne et la Pologne afin de mieux coordonner l’aide à l’Ukraine comme la position de ses soutiens face à Moscou.
Au-delà, les démocraties restent dans l’attente d’une stratégie globale face aux empires autoritaires, à l’image de celle qui a été mise en place pour contrer l’URSS à partir de 1945. Elle devrait associer leadership militaire et technologique, … … endiguement des tentatives d’expansion et refus de l’escalade, invention d’un nouveau multilatéralisme avec le Sud pour le détacher des autocraties, maintien du lien avec les sociétés civiles – dans l’espoir notamment que la Russie se libère du poutinisme. Cette alliance des démocraties a vocation à s’appuyer sur trois piliers autonomes : l’américain, l’européen et l’asiatique.
L’urgence absolue de l’Europe concerne son réarmement. Il suppose que l’Union s’élargisse pour réunifier le continent tout en se repensant comme un pôle de puissance à part entière et non simplement comme un marché, en construisant son autonomie dans les domaines clés de l’énergie, de la santé, de l’agriculture et surtout de la défense.
Pour la France, en voie d’affaissement économique, politique et moral, la remise en question par la guerre en Ukraine est radicale. Le modèle de la croissance à crédit est définitivement caduc. L’État surendetté ne parvient plus à assurer les services de base tout en accaparant 57 % du PIB. La notion de puissance d’équilibre n’a aucun sens dans un monde en guerre, où il nous revient de choisir clairement le camp de la liberté sans pour autant nous aligner sur les États-Unis. Alors que nos armées sont inaptes au combat de haute intensité, le projet du gouvernement modernise la dissuasion mais fait l’impasse sur le volume et l’endurance des forces conventionnelles, dont la guerre en Ukraine a montré l’importance.
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