L’accumulation des crises sanitaire, énergétique, alimentaire, financière, stratégique et climatique a fait basculer le monde dans une nouvelle ère.
L’Histoire n’est pas linéaire : elle stagne puis accélère autour de ce qu’Alexandre Soljenitsyne appelait des nœuds, c’est-à-dire des tournants qui voient se croiser les dynamiques de transformation du monde. Or nul ne peut douter que 2022 constitue l’un de ces nœuds de l’Histoire, au même titre que 1914, 1945 ou 1989. Car si les chocs majeurs n’ont pas manqué depuis le début du XXIe siècle, l’accumulation des crises sanitaire, énergétique, alimentaire, financière, stratégique et climatique durant l’année 2022 a fait basculer le monde dans une nouvelle ère.
Sur le plan stratégique, l’invasion de l’Ukraine – pays souverain et démocratique – par la Russie – membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU utilisant la dissuasion nucléaire pour sanctuariser une guerre d’agression au service de ses ambitions impériales – n’a pas de précédent depuis l’entreprise hitlérienne de constitution d’un « Lebensraum » dans les années 1930. Elle ouvre une grande confrontation entre les régimes autoritaires et les démocraties.
Après 1989, la guerre était impossible et la paix, permanente ; depuis 2022, la paix est impossible et la guerre, plausible. La guerre de haute intensité revient en Europe, mais mute sous la forme d’un conflit hybride engagé par Moscou contre l’Union européenne, mêlant chantage nucléaire, choc énergétique, manipulation des flux migratoires, désinformation, cyber attaques, soutien des mouvements populistes, déstabilisation de l’Afrique. Elle accélère l’ensauvagement du monde en faisant sortir la violence de toute limite et en déstabilisant les institutions et les règles qui avaient été mises en place pour la contenir. Le conflit ukrainien accouche, enfin, d’un monde multipolaire avec l’affirmation du Sud global et de ses géants – l’Inde, le Brésil, la Turquie, l’Arabie saoudite, l’Afrique du Sud ou le Nigeria –, qui rejoignent la Chine et la Russie dans leur dénonciation de l’Occident au nom du ressentiment colonial et plaident pour une nouvelle gouvernance mondiale.
Avec l’explosion de la conflictualité, la géopolitique a pris le pas sur l’économie et les États sur les marchés. La mondialisation a explosé en plusieurs blocs idéologiques. Les deux ensembles qui structuraient l’économie mondiale ont éclaté. Les États-Unis et la Chine sont engagés dans un affrontement global, avec pour enjeu central la technologie, tandis qu’un nouveau rideau de fer sépare l’Europe de la Russie. Simultanément, le cycle du capitalisme néolibéral s’est achevé, avec le primat des rivalités de puissance sur la dynamique des échanges ou l’ouverture…
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