Pour se réclamer d’une forme de continuité, les promesses du néopopulisme demeurent trompeuses et intenables.
En octobre 1922, la marche sur Rome conduisit le roi Victor-Emmanuel III à appeler Benito Mussolini à former le gouvernement. Un siècle après, Giorgia Meloni, leader du parti néofasciste Fratelli d’Italia, devient à 45 ans la première femme présidente du Conseil, à la tête d’une coalition des droites qui dispose d’une forte majorité dans les deux assemblées.
L’accession au pouvoir de Giorgia Meloni inaugure une nouvelle ère. La nouvelle première ministre d’Italie a en effet choisi de cultiver l’ambiguïté, développant un néopopulisme plus institutionnel qu’extrémiste, plus européen qu’hypernationaliste, plus occidental que porté vers les tyrannies du XXIe siècle.
Son discours d’investiture devant la Chambre des députés fournit les grandes lignes de cet aggiornamento. La priorité demeure la lutte contre l’immigration, confondue avec le rétablissement de la sécurité. La politique économique associe baisses d’impôts et protectionnisme du côté de l’offre, aides aux familles du côté de la demande. La sortie de l’Union et de l’euro est abandonnée au profit d’une révision des traités et du pacte de stabilité ainsi que de la critique du resserrement monétaire poursuivi par la BCE. L’ancrage dans le camp des démocraties occidentales est réaffirmé et se décline dans le soutien à l’Ukraine, la condamnation de l’agression russe, la résistance au chantage nucléaire, énergétique et alimentaire pratiqué par Vladimir Poutine – et ce en opposition à Silvio Berlusconi et Matteo Salvini. Le tout est placé sous le signe d’un retour aux valeurs chrétiennes – dont le « droit au non-avortement » -, à la famille traditionnelle et à un patriotisme exacerbé.
Pour la démocratie, il s’agit d’une simple rémission et non pas d’une guérison car les causes profondes du populisme – à savoir le déclassement économique, social, culturel, civique des classes moyennes et populaires – n’ont nullement été éradiquées. Le populisme n’a pas disparu mais se réinvente aujourd’hui, renonçant à la rupture avec les marchés à la suite de la panique financière déclenchée par Liz Truss au Royaume-Uni, à la rupture avec l’Union et l’euro à la lumière du naufrage du Brexit, à la rupture avec la démocratie et l’Otan à la lumière de la menace existentielle que la Russie fait peser sur le continent.
Pour se réclamer d’une forme de continuité, les promesses du néopopulisme demeurent trompeuses et intenables. Les contradictions de Giorgia Meloni se traduisent par un gouvernement dual, l’un modéré tourné vers les marchés et l’Europe, l’autre extrémiste tourné vers les Italiens. Cette version radicale du « en même temps » paraît incompatible avec la gestion des chocs multiples et violents qui frappent l’Italie comme tous les pays européens. Giorgia Meloni sera très vite rattrapée par la réalité qui l’obligera à choisir. Réalité de la stagflation avec une récession de 1,5 % et une inflation de 9 % prévues en 2023. Réalité de la société italienne que le choc énergétique, venant après l’épidémie de Covid, pourrait pousser à la révolte. Réalité des marchés qui n’accepteront pas de financer son programme de 150 à 200 milliards d’euros de dépenses nouvelles, alors que le besoin de financement du pays atteint 370 milliards d’euros en 2022. Réalité de l’Union qui ne pourra poursuivre les versements du plan de relance si Giorgia Meloni met à exécution ses engagements protectionnistes et nationalistes.
Les leçons de l’accession au pouvoir de Giorgia Meloni méritent d’être entendues, tout particulièrement en France, qui présente désormais les mêmes maux structurels que l’Italie même si les institutions politiques demeurent bien différentes.
- Le néopopulisme, plus conservateur et moins idéologique, voit ses chances de victoires électorales renforcées par la crise économique, sociale, stratégique et morale que la guerre d’Ukraine a déclenchée en Europe.
- En revanche, ses contradictions lui interdisent de représenter une stratégie crédible de redressement, a fortiori dans les pays les plus affaiblis par des décennies de décrochage.
- La seule manière efficace de combattre le néopopulisme n’est pas de le dénoncer au plan moral mais de le combattre au plan politique en rassemblant les citoyens autour d’un projet ambitieux de reconstruction et de défense de la liberté politique.
(Chronique parue dans Le Figaro du 31 octobre 2022)