La France est particulièrement vulnérable face à un nouveau choc qui la saisit au terme de quatre décennies d’un interminable décrochage.
La guerre d’Ukraine constitue pour la France un choc majeur. Notre économie, à peine convalescente après la pandémie de Covid, est touchée de plein fouet par la stagflation et le choc énergétique. En apparence, la France paraît relativement préservée. La croissance s’établira à 2,7 % en 2022 ; l’inflation a bondi jusqu’à 5,6 % mais reste largement inférieure à celle de la zone euro qui atteint 9,1 % ; les créations d’emplois se poursuivent. Dans le même temps, les États-Unis et le Royaume-Uni sont entrés en récession ; l’Allemagne stagne et voit s’effondrer le modèle mercantiliste fondé sur l’énergie russe bon marché, le travail à bas coût d’Europe centrale et orientale, les exportations vers les BRICS ; l’Italie est très fragilisée par sa crise démographique, par sa dépendance énergétique à la Russie, par sa dette publique de 152 % du PIB, et, désormais, par l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite.
La résistance de l’économie française est cependant trompeuse. Elle s’explique par les plans de relance liés à l’épidémie qui ont abondé l’épargne des ménages et la trésorerie des entreprises, ainsi que par la prolongation de la stratégie du « quoi qu’il en coûte », étendue de la santé à l’énergie et à la protection des ménages contre l’inflation.
En réalité, le retournement est déjà effectif, comme le montre la diminution de l’activité industrielle.
Le choc énergétique est très violent et sera durable. Du côté de l’offre, les entreprises sont prises en étau par les pénuries d’énergie, de matières premières et de travail, l’envolée des prix de l’électricité, la hausse des salaires, la réduction des débouchés. Du côté de la demande, la consommation ralentit avec la baisse du pouvoir d’achat, notamment pour les 20 % des ménages les moins aisés qui ont mobilisé toute l’épargne accumulée durant l’épidémie. Ainsi 2023 s’annonce comme une année très difficile, marquée par la récession de l’activité, une inflation de 5 à 7 %, la remontée du chômage vers 7,9 % de la population active.
Par ailleurs, la France constitue une exception au sein de la zone euro en raison de la perte de contrôle de ses finances publiques et de son commerce extérieur.
Le déficit public est prévu à 159 milliards l’an prochain sur 500 milliards de dépenses. Avec la récession, il augmentera jusqu’à représenter 6 % du PIB, portant la dette autour de 112,5 % du PIB. Le Trésor devra emprunter un montant record de 270 milliards d’euros, avec une charge de la dette qui s’élèvera à 52 milliards d’euros contre 23 milliards en 2020. Dans le même temps, le déficit commercial dépassera 155 milliards d’euros, soit près de 6 % du PIB. Cette dérive est insoutenable. Le creusement du déficit budgétaire alimente l’inflation, contraignant la BCE à accélérer la hausse de ses taux pour casser les anticipations au prix d’une amplification de la récession.
Il dégrade la balance commerciale, car la consommation se tourne majoritairement vers les importations, compte tenu du blocage de la production nationale.
Enfin le bouclier énergétique, qui mobilise 1,7 % du PIB, est incompatible avec la transition écologique.
La politique économique de la France cherche une nouvelle fois à protéger l’économie et la société d’un choc majeur en les plaçant sous le parapluie de la dépense et de la dette publiques, présumées illimitées. Cela n’empêchera pas la récession. En revanche, cela enferme notre pays dans le déni de la nouvelle donne qui émerge de l’épidémie et de la guerre d’Ukraine. Avec quatre changements majeurs. Le ralentissement synchronisé de l’activité dans les grands pôles qui structurent les échanges mondiaux. L’installation durable de l’inflation autour de 5 % par an en raison du vieillissement démographique, de l’éclatement de la mondialisation et de la transition écologique. Le durcissement des politiques monétaires et la remontée des taux d’intérêt indissociables d’un risque de krach financier.
Loin d’être épargnée, la France est particulièrement vulnérable face à ce nouveau choc qui la saisit au terme de quatre décennies d’un interminable décrochage. Elle combine le risque économique avec le blocage de la croissance potentielle et des gains de productivité, le risque social avec la poussée de la colère et des violences de toute nature, le risque financier avec la perte de contrôle de l’endettement public et privé qui représente 361 % du PIB, le risque politique issu d’une faible gouvernabilité et d’une forte poussée des populismes.
La France est pour l’heure protégée par l’euro, par la force de l’Allemagne et par la faiblesse de l’Italie. Mais cette protection est très fragile et en grande partie fictive.
Faute d’une transformation radicale de son modèle de décroissance à crédit, la France n’échappera pas à un violent choc financier au cours de la décennie 2020.
(Chronique parue dans Le Figaro du 3 octobre 2022)