Le rétablissement de la puissance des États-Unis se heurte à l’accélération de leur crise intérieure.
Les États-Unis abordent les élections de mi-mandat de la présidence de Joe Biden dans une situation très paradoxale. Le changement d’ère provoqué par l’invasion de l’Ukraine par la Russie a renforcé leur puissance et leur influence dans le monde. Mais la chute de l’espérance de vie témoigne de l’approfondissement de la crise de la société et de la démocratie américaines.
Surplombés par la prise d’assaut du Capitole le 6 janvier 2021, les débuts de l’Administration Biden ont été pour le moins hésitants. La priorité donnée à l’endiguement de la Chine a été télescopée par la déroute d’Afghanistan en août 2021, puis par le psychodrame de la création de l’Aukus, qui a semé la zizanie entre les alliés.
L’invasion de l’Ukraine par la Russie a provoqué un complet retournement, faisant des États-Unis le grand gagnant de la nouvelle donne économique et stratégique. L’agression a sidéré les Européens et les a dessillés sur la réalité de la dictature de Vladimir Poutine. Sidérés et désarmés, la seule option qui leur est ouverte se trouve dans la garantie de sécurité des États-Unis.
Les États-Unis ont mis à la disposition de l’Ukraine une aide militaire de plus de 14,5 milliards de dollars ainsi que leurs capacités de renseignement, qui expliquent largement tant la mise en échec de la tentative de blitz russe que la remarquable contre-offensive de septembre 2022 sur Kharkiv. Ils se sont réengagés sur le continent en déployant plus de 120 000 hommes. L’Otan s’est élargie à la Suède et à la Finlande et aligne 300 000 soldats dans le cadre d’une défense de l’avant face à la Russie. Le renouveau prévaut aussi en Asie, où les États-Unis ont réaffirmé leur engagement à défendre Taïwan contre une attaque de la Chine et où leurs alliés, Japon en tête, réarment et resserrent leurs liens avec l’Amérique.
L’engagement d’une confrontation directe entre les empires autoritaires et les démocraties et le retour de la guerre de haute intensité ont donc rendu toute sa valeur à la garantie de sécurité des États-Unis. Adossée à un budget militaire de 813 milliards de dollars en 2022, elle en fait le leader naturel d’une nouvelle alliance des nations libres réunissant l’Atlantique et le Pacifique.
Le conflit renforce également la puissance économique de l’Amérique. De manière instantanée, l’économie connaît une récession technique en raison de la hausse des taux d’intérêt décidée par la Fed pour casser l’inflation qui atteint 8,5 % par an. Pour l’heure, le plein-emploi résiste cependant, avec un taux de chômage limité à 3,7 % de la population active. Simultanément, le dollar s’apprécie, retrouvant son rôle de valeur refuge par temps de guerre, et les capitaux affluent vers Wall Street. Au moment où la Chine affronte la fin de ses « quarante glorieuses » et voit l’activité stagner en raison de la stratégie zéro Covid qui désorganise la production et bloque la demande intérieure, du krach immobilier et des dérèglements climatiques, les États-Unis redeviennent la locomotive de l’économie mondiale.
Le rétablissement de la puissance des États-Unis se heurte cependant à l’accélération de leur crise intérieure.
La polarisation des opinions et la quasi-guerre civile qui mine la nation s’enracinent dans la démographie, qui met en lumière les pathologies de la société. L’espérance de vie diminue ainsi depuis trois ans. Elle a régressé de 78,7 ans fin 2019 à 76,1 ans à fin 2021, alors qu’elle s’établit à 77 ans en Chine. Elle est réduite à 79,1 ans pour les femmes et 73,2 ans pour les hommes, contre respectivement 85,4 ans et 79,3 ans en France. Si tous les pays développés ont vu l’espérance de vie réduite de quelques mois par l’épidémie de Covid, les États-Unis font exception par l’ampleur de la chute et son caractère durable qui renvoient à de multiples causes. La pandémie explique la moitié de la surmortalité. Elle a provoqué 1,05 million de morts – bilan scandaleux pour un pays qui consacre 17 % de son PIB aux dépenses de santé – et continue à faire des victimes. Trois autres facteurs sont déterminants : la remontée en flèche des inégalités de richesse et de revenu ; la crise des opioïdes, qui ont provoqué 109 000 morts par overdose en 2021 ; enfin, la circulation de quelque 400 millions d’armes à feu dans la population civile, qui sont à l’origine de 45 010 morts, dont 20 920 homicides.
La diminution durable de l’espérance de vie déstabilise le modèle américain. Elle est incompatible tant avec la promesse démocratique d’assurer aux citoyens sécurité, prospérité et égalité qu’avec le rétablissement pérenne de la puissance des États-Unis. Elle explique le basculement vers le populisme d’une large partie des Américains. Joe Biden, bien aidé par Vladimir Poutine, a reconstitué une large partie de la puissance et du crédit des États-Unis dans le monde que Donald Trump avait ruinés. Il lui reste à remplir le mandat qu’il a reçu des Américains en 2020 : refaire des États-Unis une nation garantissant une vie digne et sûre pour l’ensemble de ses citoyens.
(Chronique parue dans Le Figaro du 26 septembre 2022)