La montée des risques qui pèsent sur le Royaume-Uni est indissociable de son incapacité à surmonter le choc du Brexit.
Cinq ans et demi après avoir joué un rôle décisif dans le vote des Britanniques en faveur du Brexit, trois ans après avoir succédé à Theresa May dont il avait sapé l’autorité, Boris Johnson quitte piteusement le pouvoir après avoir perdu la confiance de 57 membres de son cabinet sur 120. La raison immédiate de sa chute est à chercher dans l’interminable litanie des scandales et des mensonges qui sont devenus la marque de fabrique du premier ministre. La cause profonde se trouve dans son populisme, qui laisse le Royaume-Uni, en cette année de jubilé de la reine, durablement affaibli et divisé.
Boris Johnson est le dirigeant politique qui a le plus pesé sur le destin du Royaume-Uni depuis Margaret Thatcher, dont les réformes libérales mirent fin au long déclin de l’après Seconde Guerre mondiale. Il restera pour l’histoire l’homme de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, pour l’avoir fait voter lors du référendum de 2016, pour l’avoir fait valider lors des élections de décembre 2019 puis pour l’avoir mis en œuvre le 31 décembre 2020. Mais il est aussi celui qui n’a cessé de chercher à en occulter les conséquences désastreuses.
Le mandat de premier ministre de Johnson a été tout entier placé sous le signe des crises. Mais sa gestion a été à son image, erratique et imprévisible, alternant lourdes erreurs et improvisations brillantes, guidée par une succession de coups médiatiques s’émancipant de toute forme de cohérence ou de responsabilité.
Après avoir tragiquement atermoyé lors de la première vague de Covid, Johnson s’est rétabli in extremis par son pari gagnant sur la vaccination. Le Royaume-Uni, avec 23 millions de cas et 181 000 morts, n’en a pas moins payé un tribut très lourd. En dépit de son déconfinement précoce, il n’a retrouvé son niveau d’activité de 2019 qu’au début de 2022, soit un an après les États-Unis et six mois après l’Union européenne.
Lors de l’invasion de l’Ukraine, Johnson a réagi avec une extrême fermeté, cherchant à incarner la résistance des démocraties occidentales face aux empires autoritaires. Il a salué et accompagné le retour en force des États-Unis et de l’Otan en Europe. Non sans paradoxe puisqu’il n’a pas hésité à militer pour l’adhésion rapide de l’Ukraine à l’Union qu’il n’a eu de cesse de voir le Royaume-Uni quitter.
Loin des mirages du projet de Global Britain qui devait concurrencer victorieusement l’Union, Johnson laisse en héritage une économie dans la tourmente. La reprise a avorté et la croissance plafonnera autour de 2 % en cette année et 0,9 % en 2023. L’inflation dépasse 10 % et est sortie de tout contrôle en dépit des hausses de taux de la Banque d’Angleterre, avec une explosion de 54 % des prix du gaz et de l’électricité. Le niveau de vie des ménages reculera de 4 % cette année.
L’investissement des entreprises stagne. Sur le plan politique, le Royaume-Uni est menacé d’implosion. En Écosse, Nicola Sturgeon a annoncé un nouveau référendum sur l’indépendance.
En Irlande, la crise ouverte par le refus de Johnson d’appliquer le protocole conclu avec l’Union, a abouti, pour la première fois, à la victoire du Sinn Féin qui milite pour la réunification de l’île lors des élections du 5 mai 2022, ce qui déchaîne la fureur des unionistes du DUP.
La montée des risques qui pèsent sur le Royaume-Uni est indissociable de son incapacité à surmonter le choc du Brexit. Faute de volonté et de préparation, le Royaume-Uni ne tient aucun de ses engagements vis-à-vis de l’Union ce qui empoisonne les relations avec son premier partenaire. Les contentieux se multiplient sans fin, des vaccins au statut douanier de l’Irlande du Nord en passant par les droits de pêche, les flux de migrants ou la régulation financière, créant le risque d’une guerre commerciale destructrice.
Les vents contraires qui soufflent sur l’économie britannique ne sont que partiellement liés aux conséquences du conflit ukrainien et découlent principalement du Brexit. L’augmentation des prix et la spirale inflationniste des salaires ont débuté avec la chute des importations et la pénurie de main-d’œuvre dans les secteurs de l’agriculture, de la construction, de la santé et des services provoquée par le départ de plus d’un million de travailleurs européens.
En vrai populiste, Boris Johnson a sacrifié son pays à sa quête obsessionnelle du pouvoir en jouant sur les passions collectives et en mentant à ses concitoyens. Il reviendra à ses successeurs de tenter de désarmer cette machine infernale en ramenant la décence, le pragmatisme et la défense des intérêts de long terme du Royaume-Uni au 10 Downing Street.
(Chronique parue dans Le Figaro du 4 juillet 2022)