Notre pays présente nombre de traits communs avec l’Italie et l’Espagne. Mais son modèle économique est encore plus déséquilibré.
L’Italie et l’Espagne, qui se relevaient difficilement de la crise financière de 2008, de la tourmente de l’euro en 2011 puis de la pandémie, subissent un nouveau choc majeur avec la guerre en Ukraine. Si les deux pays sont très diversement exposés à la Russie, ils voient leurs difficultés structurelles s’approfondir, contribuant à affaiblir l’Europe du Sud.
Après avoir été en première ligne face au Covid et enregistré une récession historique de 8,9 % en 2020, l’économie italienne a connu un net rebond en 2021. La croissance, tirée par l’envol des exportations qui atteignirent 516 milliards d’euros, s’éleva à 6,7 %.
L’invasion de l’Ukraine a cassé net cette dynamique. La croissance pourrait ne progresser que de 1,2 %, tandis que l’inflation s’est installée au-delà de 6 %, avec à la clé une perte de pouvoir d’achat de l’ordre de 1 000 euros par ménage. Le pari de réduire la dette publique qui culminait à 150,8 % du PIB fin 2021, est perdu d’avance.
L’Italie est le 4e partenaire de la Russie et le 2e dans l’Union. Son mix énergétique repose à 83 % sur le pétrole, le gaz et le charbon, qui dépendent des importations russes respectivement à hauteur de 17 %, 40 % et 50 %. Du fait des liens étroits noués depuis la guerre froide avec Moscou, le pays abrite aussi 20 % du patrimoine des oligarques visés par les sanctions européennes.
L’Italie se trouve prise en tenailles entre le choc énergétique et la remontée des taux d’intérêt, comme le montre la hausse du spread avec l’Allemagne à plus de 200 points de base. Le conflit ukrainien compromet ainsi les espoirs nés du projet de reconstruction et remet au premier plan ses faiblesses : l’effondrement démographique (1,2 enfant par femme) et le vieillissement (un quart de plus de 65 ans en 2045), amplifié par l’exil de 2 millions de jeunes depuis 2008 ; la sous-productivité et l’insuffisance de l’investissement comme de l’innovation ; l’inefficacité et le surendettement de l’État ; la fragilité du système politique, en dépit de la reconduction du duo composé par Sergio Mattarella et Mario Draghi, et la remontée du risque populiste.
L’Espagne a également été frappée de plein fouet par l’éclatement de la bulle financière et immobilière en 2008, puis la pandémie qui a paralysé le tourisme qui représente 12,4 % du PIB ainsi que l’industrie automobile (11 % du PIB et 8 % des emplois). D’où une récession de 10,8 % en 2020, accompagnée d’une flambée du chômage (16,1 % de la population active). La reprise a atteint 5,1 % en 2021, portée par les exportations qui se sont élevées à 317 milliards d’euros en 2021. Mais elle est fragilisée par les conséquences de la guerre d’Ukraine.
L’Espagne est certes peu dépendante de la Russie, qui n’assure que 7,5 % de son approvisionnement énergétique et n’absorbe que 0,5 % de ses exportations. Mais elle est engagée dans un dangereux bras de fer avec l’Algérie qui livre 30 % de sa consommation de gaz, en raison du soutien apporté au Maroc dans la crise du Sahara occidental. Par ailleurs, elle subit le contrecoup de la stagflation qui gagne la zone euro. L’activité reste inférieure de 4 % à son niveau de 2019 et l’inflation approche 10 %, soulignant les handicaps liés à l’atomisation du système de production, au manque de productivité et d’innovation, au dualisme du marché du travail.
Sous la pression de la grève des camionneurs et de la mobilisation des entrepreneurs, le gouvernement n’a eu d’autre choix que de lancer un plan d’aide de 16 milliards d’euros pour soutenir les secteurs les plus fragilisés, tels les transports et l’agriculture, et les ménages (hausse de 15 % du revenu minimum, limitation de la hausse des loyers à 2 %, réactivation du chômage partiel), tout en obtenant l’accord de Bruxelles pour dissocier le prix de l’électricité de celui du gaz. Les finances publiques, plombées par une dette de 118,4 % du PIB à fin 2021, sont sous la pression de la remontée des taux.
La rechute de l’Italie et de l’Espagne, troisième et quatrième économies de la zone euro, intervient au plus mauvais moment. Rome et Madrid sont les premiers bénéficiaires du plan de relance Next Generation EU et détermineront largement son succès ou son échec.
Notre pays présente nombre de traits communs avec l’Italie et l’Espagne. Mais son modèle économique est encore plus déséquilibré du fait de la désindustrialisation comme du double déficit public et commercial et il est nettement moins avancé dans les réformes de l’État ou du système social. La France est un pays d’Europe du Sud qui prétend, via la réassurance implicite de l’Allemagne, au statut de pays d’Europe du Nord. L’enchaînement des crises rend ce grand écart de moins en moins soutenable, notamment avec la réorientation de la stratégie de la BCE. Le combler devrait être le projet du second quinquennat d’Emmanuel Macron.
(Chronique parue dans Le Figaro du 6 juin 2022)