Pour l’heure, la réélection d’Emmanuel Macron se traduit par un triple vide de leadership, de projet et de mobilisation.
La France est engagée dans une drôle de campagne électorale. Le non-débat des élections législatives prolonge le non-débat présidentiel. La logique du vote utile et le principe de précaution annihilent la vie publique. Tétanisée par l’explosive réforme des retraites qui paraît de plus en plus mort-née, la majorité présidentielle a choisi de contrer la démagogie de la Nupes de Jean-Luc Mélenchon non pas en lui opposant un projet de modernisation de la France mais en refusant toute confrontation et en pratiquant une manœuvre d’évitement. Au déchaînement des passions égalitaires et identitaires répondent le silence et la dérobade.
Le pari d’obtenir une majorité présidentielle, même composite, sera sans doute gagnant. Mais le prix à payer sera très élevé. Alors que la France est en grande difficulté, elle aura multiplié les polémiques sans jamais discuter des défis qu’elle doit affronter : reconstitution d’un système productif compétitif et résilient ; rééquilibrage des comptes publics ; remise à niveau de la santé et de l’éducation ; transition écologique ; réunification de la nation ; réarmement face au retour de menaces stratégiques existentielles. Or il n’est pas possible de dynamiser la démocratie sociale ou participative sur les ruines de la démocratie représentative. Le pays risque d’être ingouvernable non pas faute de majorité mais du fait de la contagion des violences politiques et sociales.
Surtout, la France est à l’arrêt complet depuis six mois, la suspension du débat public n’ayant pas été mise au service de l’action mais de l’attentisme.
Pour l’heure, la réélection d’Emmanuel Macron se traduit par un triple vide de leadership, de projet et de mobilisation. Le président a déserté le terrain intérieur de la reconstruction de la France qui devait être le cœur du quinquennat pour se concentrer sur l’agenda diplomatique. La promesse de renouveler l’orientation et la méthode du gouvernement pour s’adapter à une ère nouvelle et prendre en compte la configuration singulière de l’élection présidentielle, qui engageait son vainqueur très au-delà de ses partisans, était juste. Mais elle a fait long feu avec la constitution du gouvernement, qui s’inscrit dans la continuité du précédent quinquennat.
Alors qu’il serait essentiel de fixer un cap et de donner un contenu à l’action publique, celle-ci reste dans les limbes. Aucune ligne directrice ni aucune initiative concrète ne sont intervenues en matière de protection du pouvoir d’achat, de santé – où la seule réponse à la crise des urgences hospitalières consiste dans la commande d’un énième rapport pour cartographier les déserts médicaux documentés depuis des années – , d’éducation – les objectifs et les moyens de « l’école du futur » restant indéterminés – , de réindustrialisation, de décarbonation de l’économie, de sécurité intérieure et extérieure. Pire, l’État a fait une nouvelle démonstration de son incapacité à gérer les crises avec le fiasco planétaire de la finale de la Ligue des champions puis s’est réfugié dans le déni en refusant de reconnaître la réalité des faits et des défaillances de l’organisation.
Nous vivons un moment étrange et dangereux où la France reste immobile dans un monde où l’histoire accélère brutalement. La stagflation est désormais à nos portes, avec un recul de l’activité de 0,2 % au premier trimestre alors que la hausse des prix atteint 5,2 %.
Une spirale s’installe entre le déficit des comptes publics (6 % du PIB) et celui de la balance commerciale qui dépasse 100 milliards d’euros sur douze mois. a flambée de l’inflation qui s’élève à 8,1 % dans la zone euro ne laisse d’autre choix à la BCE qu’une hausse des taux rapide qui va renchérir le coût de la dette publique.
Le chaos du Stade de France souligne la poursuite de la désintégration de la nation et la perte du contrôle de l’ordre public par l’État. Enfin, le basculement de la guerre d’Ukraine dans un long conflit d’attrition ouvre une nouvelle ère stratégique, qui impose une redéfinition complète de la sécurité de notre pays, sur le plan militaire mais aussi énergétique et alimentaire, économique et technologique.
La France doit impérativement se transformer si elle ne veut pas figurer parmi les grands perdants de la nouvelle donne qui émerge. Elle dispose de vrais atouts pour le faire. Mais elle doit se réformer profondément et surmonter pour cela trois obstacles majeurs : le caractère très autoritaire et centralisé des institutions qui débouche sur une difficulté chronique à exécuter les décisions de la puissance publique ; la surexpansion, le coût démesuré et l’inefficacité de l’État ; la fragmentation et la polarisation de la nation.
Emmanuel Macron ressemble à un prestidigitateur virtuose, victime de son habileté. Son génie tactique semble désormais le priver de stratégie. Le quinquennat est mal parti car il n’est pas parti. Il est grand temps de mettre en cohérence les mots, les actes et les choses.
(Chronique parue dans Le Figaro du 6 juin 2022)