La France ne peut échapper à une révision radicale de sa politique économique.
La guerre en Ukraine dégrade la sécurité de la France, confrontée à la renaissance d’une menace existentielle sur sa population et son territoire, mais aussi l’environnement de son économie. Au-delà d’un trou d’air conjoncturel, elle débouche sur un changement du régime de croissance. Il est placé sous le signe de la stagflation, de l’éclatement de la mondialisation en blocs, du rôle de l’État pour faire face aux risques de ruptures d’approvisionnement dans les domaines de l’énergie, des matières premières ou de l’alimentation.
L’économie française se trouve prise à revers. Dans la continuité de la reprise historique de 7 % en 2021, le gouvernement tablait sur une croissance de 4 % en 2022. Or la progression de l’activité a été nulle au cours du premier trimestre. Dans le même temps, l’inflation s’est envolée pour s’établir à 5,4 % et 7 % en dehors du bouclier qui plafonne la hausse des prix de l’énergie. Elle pourrait culminer autour de 10 % à la fin de l’année, se diffusant à tous les secteurs et tous les acteurs économiques et sociaux à travers la contagion des revendications salariales.
Notre pays connaît un double choc d’offre et de demande, sans précédent depuis les chocs pétroliers des années 1970. Du côté de l’offre, les difficultés d’approvisionnement et la flambée des prix de l’énergie et des matières premières freinent la production et contractent les marges des entreprises. Si la situation s’installe, l’ajustement à la baisse de l’investissement et de l’emploi sera inéluctable. Du côté de la demande, l’inflation entraîne une perte de pouvoir d’achat qui réduit la consommation, notamment pour les 20 % des ménages les moins aisés qui ont utilisé toute l’épargne accumulée durant l’épidémie de Covid-19.
L’économie française se trouve enfin prise en étau par un double déficit de ses comptes extérieurs et publics. En dépit du ralentissement de l’activité, le commerce extérieur affiche un déséquilibre record de 31 milliards d’euros au premier trimestre et de 100 milliards sur douze mois glissants. La dégradation résulte pour moitié de l’envolée du prix de l’énergie et pour moitié de la hausse de 20 % des importations de biens industriels et de produits agricoles ainsi que de la perte de parts de marché à l’export. Elle contraste avec la résistance offerte par l’Allemagne qui affiche un excédent de 170 milliards d’euros.
Le choix a été fait de reporter sur l’État une partie significative du coût de l’inflation importée, à hauteur de 25 milliards d’euros environ.
Les nouvelles mesures annoncées visant à prolonger le bouclier tarifaire et la ristourne sur les carburants tout en mettant en place un chèque alimentation mobiliseront des sommes comparables.
Le déficit public pour 2022 augmenterait ainsi de 4,5 % à 6 % du PIB, tandis que la dette dépasserait 114 % du PIB.
Or les deux déficits sont liés. Ce sont les politiques budgétaires expansionnistes conduites depuis le début du siècle qui ont creusé le déficit commercial. Le soutien de la consommation financé par la dette publique explique 61 % de la dégradation de la balance de nos échanges. Il a fragilisé notre industrie en l’enfermant dans une spirale cumulative de pertes de parts de marché, de manque de compétitivité, de compétences, d’investissement dans l’innovation. Seuls 36 % des biens industriels consommés par les ménages sont encore produits en France. Dès lors, comme lors des relances de 1975 et de 1981, le soutien de la consommation par l’État à travers les subventions en faveur de l’énergie et de l’alimentation va amplifier les déficits jumeaux, tout en bénéficiant avant tout aux exportations de nos concurrents.
La situation est d’autant plus critique que l’inflation rend la remontée des taux d’intérêt inévitable, y compris dans la zone euro où la BCE devrait les relever dès juillet prochain. L’envolée de la dette publique française n’a été rendue possible que par la diminution drastique de son prix. À l’inverse, la hausse d’un point des taux entraîne 40 milliards de charge de la dette supplémentaire sur dix ans.
Les finances publiques de la France sont les plus fragiles de la zone euro en raison de l’importance du déficit structurel. Elles vont être prises en tenaille par la remontée des taux au moment même où des investissements massifs seraient requis pour moderniser l’éducation et la santé, soutenir l’innovation ou accélérer la transition écologique. Le surendettement n’est par ailleurs pas le monopole de l’État mais concerne également les entreprises, alors que les marchés dévissent sous la pression de l’inflation.
La France se trouve donc sous la menace d’un violent choc financier si les taux d’intérêt devaient dépasser la croissance nominale. Notre pays ne peut échapper à une révision radicale de sa politique économique.
(Chronique parue dans Le Figaro du 16 mai 2022)