Réélu, Emmanuel Macron va devoir affronter de nombreux défis face aux crises qui s’accumulent.
La réélection d’Emmanuel Macron comporte une dimension historique. En France, il est le premier président de la Ve République à être réélu en dehors d’une période de cohabitation. En Europe, elle donne un coup d’arrêt au populisme, laissant la Hongrie d’Orban isolée, y compris désormais au sein du groupe de Visegrad.
Mais la capacité à conduire la transformation de l’Europe pour répondre aux crises économique, énergétique, climatique et stratégique dépendra des réformes effectuées en France. Or la gouvernabilité du pays est loin d’être assurée compte tenu de l’écart qui se creuse entre les priorités de son redressement d’un côté, la réduction des marges de manœuvre et l’irruption d’une situation sociale et politique explosive de l’autre.
Rarement dans son histoire la France a affronté autant de défis majeurs.
Le rééquilibrage vers la production et l’innovation du modèle économique et social fondé sur la consommation à crédit, qui a conduit à la baisse de la croissance, la désindustrialisation, l’installation d’un chômage permanent, le surendettement public et privé (361 % du PIB). Le renforcement de la résilience de la nation à travers la réduction de la dépendance aux biens essentiels chinois, aux technologies américaines et à l’énergie russe, ainsi que l’accélération de la transition écologique. Puis la lutte contre les inégalités qui passe notamment par l’amélioration de l’efficacité des services publics de l’éducation et de la santé. Enfin, l’investissement dans la sécurité intérieure pour rétablir la paix civile ainsi que l’engagement d’une stratégie de réarmement afin de répondre au djihadisme et à la menace existentielle que la Russie fait peser sur les démocraties du continent européen.
La France ne peut rester immobile durant le prochain quinquennat, sauf à basculer du décrochage lent à l’effondrement brutal. Mais elle fera face à un monde bouleversé et un environnement profondément dégradé qui limiteront les marges de manœuvre de ses dirigeants. Pour la France, la reprise attendue s’est transformée en stagnation tandis que la hausse des prix atteint 4,8 %. L’inflation s’élève à 7,5 % dans la zone euro et s’enracine avec la poursuite de la guerre en Ukraine, rendant inéluctable la remontée des taux d’intérêt, donc la fin de l’argent public gratuit et illimité.
En France, l’inquiétude porte sur l’épuisement de la démocratie, dont témoignent le vote protestataire qui a culminé à 61 % des voix au premier tour et l’abstention de 28 % du corps électoral au second tour. Par ailleurs, les violences se multiplient, à l’image du saccage de l’École des hautes études en sciences sociales. Or le désengagement, les passions collectives et la rupture du fragile fil de soie de l’État de droit sont les signaux d’alerte d’un possible effondrement de la liberté. Contrairement aux États-Unis, au Royaume-Uni ou à l’Italie, la France n’a pas connu le traumatisme d’une expérience populiste.
Mais les fractures démographiques, économiques, sociologiques, territoriales n’ont jamais été aussi profondes et peuvent provoquer un nouveau mouvement insurrectionnel, dans la lignée des « gilets jaunes » ou des antivaccin.
L’urgence du pouvoir d’achat face à la hausse des prix de l’énergie et de l’alimentation emporte tout.
Le financement par la dette publique des dépenses courantes des ménages est cependant insoutenable et compromet la capacité d’investissement de l’État dans la modernisation des services publics, la transition écologique ou le réarmement. Il place la France sous la menace d’un choc financier quand les taux d’intérêt dépasseront la croissance nominale.
La capacité de notre pays à répondre aux crises qui s’accumulent dépend à terme, au-delà de l’émergence d’une majorité lors des élections législatives, du renouveau de la démocratie et de la réduction des fractures sociales, générationnelles et géographiques qui écartèlent la nation.
Du point de vue des institutions, quatre pistes méritent d’être explorées : la réhabilitation du Parlement ; une authentique décentralisation ; l’extension du référendum ; la concertation des réformes en amont avec les forces économiques et la société civile afin de rétablir le dialogue entre les citoyens et les dirigeants. Par ailleurs, l’exécution efficace des décisions reste conditionnée à la profonde modernisation de l’État.
Mais le plus important reste d’ouvrir le mode d’exercice du pouvoir dans un sens plus collectif et moins solitaire, plus politique et moins technocratique. Le paradoxe veut que le renouveau de la démocratie dans notre pays comme l’émergence d’une souveraineté européenne peuvent moins que jamais être le fait d’un homme seul, mais que tout dépend des décisions qu’Emmanuel Macron, seul, s’apprête à arrêter.
(Chronique parue dans Le Figaro du 2 mai 2022)