Le dernier quinquennat a montré que les crises sont devenues le quotidien du président. Un élément à prendre en compte le 24 avril.
En 2017, Emmanuel Macron avait été élu pour moderniser la France et relancer l’Union européenne, sur fond de diminution du risque économique et politique dans les démocraties. L’élection de 2022 s’inscrit dans un contexte radicalement différent. Le quinquennat a été télescopé par les crises qui deviennent un régime permanent. La prochaine mandature est d’ores et déjà placée sous le signe des ruptures. Le futur chef de l’État devra donc être armé pour gérer les crises.
Les démocraties, qui reposent sur la poursuite de la prospérité et de la paix ainsi que sur la stabilité des classes moyennes, sont inévitablement mises en danger par les secousses historiques. Comme à la fin du XIXe siècle ou dans les années 1930, la montée des populismes est ainsi la conséquence directe de la multiplication des chocs depuis le début du XXIe siècle.
La Ve République a ainsi été conçue par le général de Gaulle comme un régime destiné à surmonter les grandes épreuves, effectuant la synthèse entre la république, la monarchie et l’empire, tout en tirant les leçons de la débâcle de juin 1940 et de l’impuissance de la IVe République à gagner la guerre ou à faire la paix en Algérie. D’où le rôle de garant de la nation dévolu au président. Taillées pour les périodes de tempêtes, nos institutions ont perdu de leur efficacité pour les affronter.
La monarchie républicaine a dérivé vers une extrême centralisation et un affaiblissement des contre-pouvoirs, qui ont compromis le rôle de stratège du président. La fusion de la classe politique avec la haute administration a accouché d’un État obèse et impuissant, coupé de l’économie, de la société civile et du monde extérieur. La communication a pris le pas sur l’action et la démagogie sur le courage, et le modèle français montre des signes d’obsolescence.
La France partage avec ses partenaires européens d’être en première ligne devant l’impérialisme russe, de devoir réarmer et convertir à marche forcée les modèles économiques pour réintégrer les contraintes de souveraineté et de résilience.
Notre pays entre dans cette nouvelle ère avec le passif de quatre décennies de décrochage économique, un surendettement public (112,9 % du PIB) et privé (248 % du PIB), un système politique fragilisé. Le premier tour de l’élection présidentielle, avec 61 % de vote protestataire et un taux d’abstention de 26,3 %, a révélé une nation épuisée, désorientée et divisée en trois blocs antagonistes. Mais face à l’épidémie de Covid comme à l’attaque de l’Ukraine, les Français ont aussi montré qu’ils pouvaient faire preuve de résilience et de créativité.
Le prochain quinquennat sera donc dominé par la gestion des crises. La capacité d’action du chef de l’État sera conditionnée par l’obtention d’une majorité parlementaire et marquée par une campagne tronquée, une forte abstention et un vote dominé par le rejet. Pour relever le défi, il faudra définir un cap clair – la défense de la liberté politique –, élaborer une stratégie qui utilise les chocs comme autant de leviers pour moderniser le pays, l’adosser à un contrat de gouvernement, mobiliser les élus, les entreprises et les citoyens, coopérer étroitement avec nos partenaires et nos alliés.
Les Français ont une responsabilité historique. Rarement, la formule de Démosthène n’a sonné aussi juste : « Je crois d’un bon citoyen de préférer les paroles qui sauvent aux paroles qui plaisent. » Entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen, il existe une ligne de fracture irréductible qui sépare la liberté de l’autoritarisme, la responsabilité de la démagogie.
(Article paru dans Le Point du 21 avril 2022)