La crise des migrants est un test pour l’Europe. L’accueil est primordial mais doit être organisé.
L’Europe est confrontée à la plus grande vague de réfugiés depuis 1945, avec l’arrivée de quelque 1,3 million de personnes en provenance du Moyen-Orient et d’Afrique. Elle fait ainsi face à un test décisif, au même titre que la monnaie unique avec le défaut grec. Un test qui déterminera sa capacité à relever ou non les défis du XXIe siècle.
Protégée par son statut d’enjeu principal de la rivalité entre les deux superpuissances américaine et soviétique au temps de la guerre froide, l’Europe est aujourd’hui rattrapée par l’histoire : les chocs économiques avec le risque de déflation ; la fragilité des institutions démocratiques en raison de la poussée des partis populistes sur fond de déstabilisation des classes moyennes ; le retour en force des menaces intérieures et extérieures, qu’elles proviennent de l’islamisme ou des ambitions de puissance de la Russie ou de la Turquie. Et elle ne peut plus remettre son destin entre les mains des États-Unis qui se désengagent massivement du continent.
L’afflux des réfugiés vers l’Europe témoigne d’un changement d’intensité et de nature des mouvements migratoires. Hier, ils étaient dominés par l’immigration économique. Aujourd’hui, ils sont provoqués par la guerre et le chaos qui ravagent des régions entières, au croisement du djihad et de l’effondrement des États. Demain, ils pourraient être amplifiés par l’évolution du climat : multiplication des catastrophes ; sécheresse et désertification ; élévation du niveau des mers.
Près de 4,5 millions de personnes entreront en 2015 dans les pays développés. Et cette situation est appelée à durer du fait du ralentissement de la croissance dans les pays émergents mais plus encore de l’escalade de la violence dans de nombreuses régions. Le retour est possible pour un immigré économique. Il est interdit aux réfugiés syriens et irakiens quand le choix qui leur est laissé se résume à la valise ou le couteau. L’affrontement entre sunnites et chiites s’inscrit dans un temps long. Les États sont détruits et ne renaîtront pas autour des frontières fixées par les accords Sykes-Picot de 1916. La Syrie, sur une population de 22 millions d’habitants, compte désormais 11 millions de réfugiés dont 4 millions hors du pays.
Il en va des réfugiés comme de la crise financière : l’Europe a voulu fermer les yeux, avant d’agir trop peu et trop tard. Elle s’est laissée enfermer dans une impasse : elle n’est pas en mesure d’accueillir durablement plus d’un million de réfugiés par an ; elle est incapable de contrôler leur arrivée par la Méditerranée et par la route des Balkans.
L’Allemagne a heureusement sorti l’Europe et les Européens de leur léthargie. Elle s’est affirmée comme la nouvelle patrie des droits de l’homme en prenant en charge 800 000 personnes et en mobilisant 10 milliards d’euros à cette fin. Cette politique est conforme aux principes humanistes qui ont présidé à sa refondation, mais aussi aux besoins de sa démographie déclinante et de son économie en situation de pénurie de main-d’œuvre qualifiée. Mais le flot des réfugiés ne peut être géré par un seul pays et l’urgence humanitaire doit s’inscrire dans une stratégie globale, articulant action intérieure et extérieure, nationale et européenne.
L’accueil est primordial mais doit être organisé et soumis à la vérification de la qualité de demandeur d’asile. Il est impératif de créer un Haut-Commissariat européen pour les réfugiés qui supervise leur accueil et apporte une aide aux pays d’arrivée, notamment l’Italie et la Grèce qui a enregistré 230 000 entrées depuis le début de l’année. L’accueil des réfugiés a par ailleurs pour contrepartie le départ effectif des demandeurs d’asile déboutés (seules 1 % des décisions sont actuellement appliquées en France) ainsi qu’une gestion stricte de l’immigration économique en fonction de la situation des pays. Ceci implique une unification rapide du droit de l’asile en Europe. Le second volet concerne le réinvestissement dans la sécurité du continent. Elle doit être puissamment renforcée par la surveillance des frontières et par l’engagement pour stabiliser sa périphérie. Avec une priorité pour la Syrie et la Libye où l’État islamique continue à progresser.
Les migrants nous apportent un formidable message d’espoir. Contrairement aux Européens qui doutent et sont tentés de renier les acquis de soixante ans d’intégration, ils risquent leur vie pour partager sa prospérité, son mode de vie et ses valeurs. Dans le prolongement de la chute du mur de Berlin, ils nous rappellent qu’il existe un rêve européen, mais aussi que ce rêve ne survivra que pour autant que les Européens restent prêts à travailler, à défendre leur liberté et à rester unis.
(Chronique parue dans Le Figaro du 14 septembre 2015)