Réélu sur un programme peu mobilisateur, Emmanuel Macron devra définir un cap et fixer des priorités face aux crises qui s’accumulent.
Emmanuel Macron a remporté son pari d’être le premier président de la Ve République à être réélu en dehors d’une période de cohabitation. La performance est d’autant plus remarquable que son quinquennat a été télescopé par les crises, du mouvement des Gilets jaunes à la guerre d’Ukraine en passant par l’épidémie de Covid-19.
Pour lui, cependant, le plus dur commence. Le premier tour de l’élection présidentielle a révélé un pays divisé en trois blocs irréconciliables où le vote protestataire culmine à 61 % des voix ; le second a été déterminé par le rejet plus que par l’adhésion. La France émerge du scrutin plus éclatée que jamais et sans mandat clair pour les cinq années qui viennent. Or celles-ci s’inscriront dans un environnement très dur, cumulant la présence du Covid à l’état endémique, le basculement dans la stagflation, la montée des taux d’intérêt, le basculement de certains secteurs vers une économie de guerre, enfin l’ouverture, avec l’invasion de l’Ukraine, d’une confrontation directe entre les démocraties et les empires autoritaires.
Les Français ont assumé leur responsabilité en écartant le projet de Marine Le Pen qui impliquait une rupture avec le marché, l’Europe et les démocraties libérales. Pour autant, leur vote n’est en rien un plébiscite en faveur d’Emmanuel Macron et de son programme, riche en mesures techniques mais peu innovant et mobilisateur. Désormais réélu, il lui revient non seulement de trouver une majorité parlementaire pour soutenir son action, mais de fixer un cap pour le pays et de définir une méthode de gouvernement qui permette d’obtenir l’adhésion des Français. Autour de six priorités.
Moderniser. La France doit impérativement mettre un terme à quatre décennies de décrochage économique et social, avec pour effet la baisse de la croissance potentielle, la désindustrialisation, la dérive du déficit commercial, l’explosion de la dette publique qui atteint 2 813 milliards d’euros, la paupérisation larvée des Français. Elle ne peut s’offrir le luxe d’une nouvelle pause. L’amélioration de la compétitivité, le regain de dynamisme du secteur privé et les premiers signes de réindustrialisation restent insuffisants pour compenser l’effondrement de la qualité des services publics. Les crises ont vocation à être utilisées comme levier pour réorienter notre modèle vers la production, l’investissement et l’innovation, mais aussi vers une croissance inclusive – grâce à l’éducation et à la revalorisation du travail.
Stabiliser. Les chocs successifs ont souligné les ravages créés par la disparition des stratégies de long terme. Il est essentiel de rebâtir un modèle de développement soutenable. Il passe par le réalignement du capital humain, économique et naturel, grâce à une meilleure distribution des richesses, à la relance de la mobilité sociale, à l’accélération de la transition écologique. Il implique aussi de garantir la soutenabilité des finances publiques afin d’éviter que la hausse de taux d’intérêt ne provoque un choc financier dévastateur.
Réarmer. Depuis l’agression de l’Ukraine, la France, en lien avec les autres démocraties, doit rétablir une dissuasion militaire efficace face aux empires autoritaires mais surtout renforcer la résilience de la nation. En limitant sa dépendance à la Chine, en matière de biens essentiels, à la Russie, en matière d’énergie, aux États-Unis, en matière de technologie. En sécurisant nos approvisionnements, notamment pour les métaux stratégiques, les composants ou l’alimentation. En réformant l’État pour le rendre réactif, agile, apte à travailler avec les élus, les entreprises, la société, nos partenaires et nos alliés. En contribuant à réorienter l’Union européenne vers la sécurité et la souveraineté.
Choisir. Face à la multiplication des crises, mais aussi aux contraintes qui pèsent sur nos finances publiques, il conviendra d’effectuer des choix en rompant avec le « en même temps » et le « quoi qu’il en coûte ». L’argent public gratuit et illimité est terminé. L’État ne peut pas financer la modernisation de l’éducation, de la santé, de la police et de la justice tout en compensant l’inflation importée, en réinvestissant dans la défense et en soutenant la transition écologique. La réhabilitation de l’État régalien et la restauration d’une capacité d’investissement public passent par la remise sous contrôle de l’État social qui absorbe 34 % du PIB. S’impose aussi une pédagogie des sacrifices, en veillant à les répartir de manière juste.
Reconstruire. Comme après la Seconde Guerre mondiale, il faut imaginer un nouveau mode de capitalisme et réinventer la démocratie. La France dispose de formidables atouts en matière de cerveaux et d’entrepreneurs, de pôles d’excellence, d’épargne, d’infrastructures, de recherche, de défense, de culture et de patrimoine, stérilisés par la bureaucratie et la réglementation. Après des décennies de déconstruction – économie, société, système politique –, il est temps de passer à la reconstruction.
Rassembler. La France ne sera gouvernable que si elle parvient à se rassembler. Il faudra donc changer profondément la pratique du pouvoir plus encore que les institutions en rompant avec la verticalité et la technocratie afin de rétablir un lien de confiance entre citoyens et dirigeants. Il serait fécond de négocier un véritable contrat de gouvernement au lieu de jouer des ralliements individuels pour fournir au pays l’ancrage politique dont il a désespérément besoin. Surtout, le véritable atout de la France, ce sont les Français. Pour qu’ils retrouvent confiance en eux-mêmes et en l’avenir, il faut un souffle, une vision qui réinscrivent la France, au sein de l’Europe, en première ligne dans le combat pour la défense de la liberté politique
(Article paru dans Le Point du 25 avril 2022)