La France a sacrifié l’État régalien à son État-providence jusqu’à compromettre sa capacité à assurer sa sécurité intérieure et extérieure.
L’invasion de l’Ukraine par la Russie et le recours de Vladimir Poutine à la menace nucléaire bouleversent la sécurité de la France et de l’Europe. Le retour de la guerre au cœur de notre continent matérialise l’ambition des nouveaux empires autoritaires de s’étendre par la force et d’annihiler la démocratie. Il dévoile tous les ressorts des conflits hybrides, qui ne se limitent pas à la contrainte militaire et utilisent aussi les armes économique, cybernétique et informationnelle. La guerre est interconnectée ; elle implique la population civile, à la fois victime et instrument de pression ; elle se joue sur le théâtre d’opérations mais aussi dans les opinions.
L’agression de l’Ukraine est un électrochoc pour l’Europe et les Européens, qui ne l’avaient ni anticipée, ni préparée. La France avait certes résisté aux illusions de la fin de l’histoire, en maintenant une capacité de dissuasion nucléaire, en conservant un modèle complet d’armée, en entretenant une culture opérationnelle forgée par les interventions extérieures. Mais elle a sacrifié l’État régalien à son État-providence jusqu’à compromettre sa capacité à assurer sa sécurité intérieure et extérieure. Le prochain quinquennat devra donc être placé sous le signe du réarmement. Et en premier lieu du réarmement militaire.
La priorité a été donnée depuis des années à la lutte contre le djihadisme. Les armées ont supporté l’essentiel des plans d’économies budgétaires. Leur format a été réduit au-delà du raisonnable : elles alignaient, en 2021, 203 000 hommes et 41 000 réservistes contre 453 000 hommes et 420 000 réservistes en 1991 ; depuis cette même année, le nombre de chars a diminué de 1 349 à 222, celui des avions de combat de 686 à 254, celui des grands bâtiments de surface de 37 à 19.
Le surengagement des forces armées, avec 30 000 soldats déployés en permanence, s’est traduit par une usure accélérée des hommes et des matériels et une insuffisance chronique de l’entraînement. Par ailleurs, les lacunes capacitaires se sont accumulées dans des secteurs clés comme les drones, les frappes en profondeur, le transport aérien, le cyber ou la guerre de l’information – massivement gagnée par la Russie en Afrique.
La guerre d’Ukraine impose donc à la France, comme à ses partenaires européens, une révision drastique de sa posture militaire. Le combat de haute intensité doit être replacé en tête des priorités, mais il a vocation à s’inscrire dans une doctrine globale qui coordonne tous les acteurs et les facteurs de puissance, des armées aux collectivités locales, aux entreprises et aux citoyens, du recours à la force et à la lutte informationnelle jusqu’à la planification d’une économie de guerre et à la résilience de la société.
D’où la modernisation de la dissuasion nucléaire. D’où l’augmentation du format des armées et la révision, à la hausse, des contrats opérationnels, à commencer par celui portant sur la haute intensité qui est limité à la mobilisation de 15 000 hommes en six mois. D’où l’indispensable amélioration de la disponibilité des matériels et de l’entraînement, ainsi que la reconstitution des stocks de munitions et de pièces détachées limités à quelques jours. D’où un plan d’équipement pour porter le parc d’avions de l’armée de l’air à 215, celui des frégates à 18, tout en comblant le retard accumulé en matière d’hélicoptères et de drones. D’où le durcissement des systèmes d’information et de commandement ainsi que les progrès dans la guerre de l’information. D’où un effort massif d’innovation dans l’espace et dans les technologies de l’avenir comme les missiles hypervéloces, les canons électromagnétiques ou laser, les applications de l’intelligence artificielle.
La France ne peut échapper à une révision immédiate à la hausse du budget de la défense, fixé à 41 milliards d’euros en 2022. Les progressions de 3 milliards d’euros par an prévues par la loi de programmation militaire de 2023 à 2025 devront être doublées pour répondre aux besoins les plus urgents en matière de disponibilité des matériels, de reconstitution des stocks de munitions et de pièces de rechange, de rapatriement des forces et des équipements déployés au Mali. Il reviendra enfin aux deux prochaines lois de programmation militaire de poursuivre cet effort avec un réinvestissement de l’ordre de 50 milliards d’euros. Et ce en étroite coordination avec nos partenaires européens et nos alliés de l’Otan.
Le réarmement est aussi économique, politique et moral. Il engage la nation tout entière. Après la pandémie, l’invasion de l’Ukraine nous rappelle le prix de la liberté, le devoir des citoyens d’être prêts à accepter des sacrifices pour la sauvegarder, le rôle essentiel de l’État pour garantir la sécurité qui en est la condition. « La défense, rappelait de Gaulle dans son discours de Bayeux, c’est la première raison d’être de l’État. Il n’y peut manquer sans se détruire lui-même. »
(Chronique parue dans Le Figaro du 7 mars 2022)