Le monde des années 2020 n’est pas celui des années 1930. La Chine de Xi Jinping n’est pas l’Allemagne de Hitler. Mais il existe des points communs.
Du 1er au 16 août 1936, les Jeux olympiques d’été de Berlin furent mis au service de la propagande nazie, magnifiant la puissance de l’État totalitaire et l’idéologie revendiquant la supériorité de la race aryenne. Attribués à la République de Weimar en 1931 pour marquer la réintégration de l’Allemagne dans la communauté des nations, les Jeux de Berlin permirent ainsi à Hitler de conforter sa légitimité auprès des Allemands et dans le monde. Ils donnèrent du IIIe Reich l’image parfaitement trompeuse d’une nation pacifique, tolérante et moderne, masquant le racisme d’État comme le réarmement à marche forcée. Dès le lendemain de la cérémonie de clôture, les persécutions contre les Juifs, suspendues durant les épreuves, s’intensifièrent pour déboucher sur la Kristallnacht du 9 au 10 novembre 1938. La course à la guerre, engagée avec la remilitarisation de la Rhénanie en mars 1936, s’accéléra, ponctuée par l’Anschluss avec l’Autriche, le démantèlement de la Tchécoslovaquie puis l’invasion de la Pologne.
Le monde des années 2020 est très différent de celui des années 1930. Et la Chine de Xi n’est pas l’Allemagne de Hitler. Mails il existe des points communs dans les configurations et les dynamiques. En désignant Pékin pour organiser les Jeux d’hiver de 2022 après ceux d’été en 2008, le CIO a délibérément ignoré l’avertissement de Churchill qui rappelait qu’« un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre ». Il offre à Xi Jinping, en pleine remontée des tensions internationales, une occasion unique de célébrer son modèle de totalitarisme numérique et de mettre en scène la solidarité des régimes autoritaires, qui entendent liquider la démocratie comme les valeurs universelles dont l’olympisme est l’un des fruits afin de se tailler des sphères d’influence d’où toute liberté sera proscrite.
Les Jeux olympiques d’hiver, qui se sont ouverts le 4 février dernier à Pékin, resteront dans l’histoire non pour leur dimension sportive mais pour leur caractère aberrant, qui pousse à leur extrême les dérives mercantiles et l’absence d’éthique du CIO.
Aberration sportive avec des épreuves privées de public et faussées par la bulle sécuritaire qui n’a permis qu’aux athlètes chinois de s’entraîner sur les sites des épreuves et qui concentre le risque d’exclusion en cas de test positif sur leurs compétiteurs étrangers. Aberration sanitaire avec la mise en valeur du pays qui a donné naissance et laissé s’emballer par son silence la pire épidémie depuis la grippe espagnole de 1918, tout en instrumentalisant le Covid pour renforcer son contrôle sur la vie quotidienne de la population. Aberration écologique de Jeux d’hiver organisés dans une région très aride et, pour la première fois de l’histoire, sur une neige 100 % artificielle produite par 100 générateurs et 300 canons à neige qui ont consommé 185 millions de litres d’eau, dans le cadre de la réserve naturelle de Songshan amputée du quart de sa surface pour tracer les pistes de ski et de bobsleigh. Aberration financière avec un coût pharaonique de plus de 34 milliards d’euros. Aberration politique avec l’instrumentalisation des Jeux au profit du culte de la personnalité de Xi Jinping l’année où il entend renouer avec les principes maoïstes du pouvoir à vie. Aberration internationale avec le maintien du choix de Pékin au moment où culminent les menaces de conflit armé brandies par la Chine et la Russie à propos de Taïwan et de l’Ukraine. Aberration morale avec la célébration d’un régime totalitaire organisé autour d’un Big Brother numérique qui a interné la population ouïgoure du Xinjiang, annexé le Tibet et Hongkong, placé chaque individu sous une surveillance numérique permanente.
Les Jeux d’hiver de Pékin nous offrent une image fidèle du monde des années 2020. Un monde où l’on discourt de la transition écologique mais où l’on continue à engager des investissements démesurés dans des activités prédatrices de l’environnement. Un monde où l’olympisme s’est dissous dans le sport business et la corruption. Un monde où les hommes forts des démocratures affichent leurs ambitions de puissance et leur solidarité, comme le montre la cérémonie d’ouverture des Jeux de Pékin transformée en bal des autocrates.
Trois années seulement s’écoulèrent entre les Jeux de Berlin et le pacte germano-soviétique d’août 1939 qui scella l’alliance des totalitarismes et donna un blanc-seing à Hitler pour conquérir l’Europe. Il est plus que temps que les citoyens des démocraties, particulièrement sur notre continent, cessent de se comporter en spectateurs de leur servitude annoncée pour prendre la mesure des dangers qu’ils encourent et se mobiliser au service de la défense de la liberté.
(Chronique parue dans Le Figaro du 7 février 2022)