Paradoxe : pourquoi l’accession de Mario Draghi à la présidence de la République pourrait être une mauvaise nouvelle pour une Italie renaissante.
L’année 2021 fut celle du miracle de l’Italie, qui a abandonné son statut d’homme malade de l’Europe pour en devenir la locomotive. L’épidémie de Covid, avec plus de 140 000 morts, a frappé un pays exsangue et paralysé : d’un côté, l’enchaînement de la crise de la dette souveraine de 2011, les vagues de migrants, une récession historique de 8,9 % en 2020 ; de l’autre, une démocratie impuissante, prise sous le feu croisé des populistes du Mouvement 5 étoiles et de la Ligue. En un an, le retournement est complet. Sur le plan sanitaire, 76 % des Italiens ont été complètement vaccinés. La croissance a bondi à 6,5 % et devrait s’établir à 4,8 % en 2022. L’investissement s’est envolé de 16,3 % et les exportations ont progressé de 15,1 %, dégageant un excédent commercial de 65 milliards d’euros (contre un déficit de plus de 70 milliards en France).
L’Italie est le laboratoire du plan de relance européen. Elle en est le premier bénéficiaire, avec 191,5 milliards d’euros de subventions et de prêts. Elle en déterminera la réussite ou l’échec selon sa capacité à réaliser les investissements et les réformes prévus et, partant, la capacité de l’Union à enrayer la divergence insoutenable entre le Nord et le Sud. Le succès du G20 de Venise, qui a notamment acté l’accord sur la taxation minimale des entreprises mondialisées, symbolise par ailleurs la crédibilité retrouvée de Rome au niveau international.
Le miracle italien tient tout entier à un homme : Mario Draghi. C’est lui qui a mis en cohérence stratégie sanitaire, réouverture de l’économie et relance. C’est lui qui porte un projet de reconstruction autour de quatre priorités : la transition écologique ; la révolution numérique ; la réduction de la pauvreté et des inégalités ; la réforme de l’État et de la justice. C’est lui qui a restauré la confiance des Italiens dans leurs institutions comme celle des partenaires européens, de la communauté internationale, des investisseurs et des marchés financiers dans l’Italie.
Or Mario Draghi est victime de son succès. La poursuite du miracle italien est suspendue à son maintien en fonctions, qui se trouve télescopé par l’élection prochaine du successeur du président Sergio Mattarella et par la perspective des législatives de 2023. La possibilité de voir Mario Draghi quitter le palais Chigi pour gagner celui du Quirinal a suffi pour déstabiliser la coalition qui le soutient et ressusciter l’inquiétude quant à la soutenabilité de la dette italienne. L’effet sur les marchés a été immédiat, provoquant une hausse des coûts de financement de 30 points de base sur la dette, qui atteint 153 % du PIB à fin 2021.
L’Italie possède une chance historique de se reconstruire et dispose d’atouts puissants pour y parvenir : des talents et des cerveaux ; la vitalité de son industrie et de ses entreprises exportatrices ; une organisation décentralisée ; la résilience de l’État et de la société. Son relèvement constitue un enjeu déterminant pour l’avenir de l’Union et de la zone euro comme pour le désarmement du poison populiste et la sortie de la crise de la démocratie sur notre continent.
Voilà pourquoi il faut espérer que Rome saura non seulement maintenir Mario Draghi comme pilote du plan de relance pour les deux années décisives qui s’ouvrent, mais assurer dans la durée la réalisation des investissements et des réformes qu’il a engagés. Voilà pourquoi la France doit porter davantage d’intérêt à l’Italie, qui constitue un cas d’école pour son propre redressement en même temps qu’un partenaire majeur pour l’avenir de l’Europe. Voilà pourquoi le traité du Quirinal, signé le 26 novembre dernier, a vocation à devenir l’un des piliers de l’Union post-Brexit et post-Covid.
(Article paru dans Le Point du 20 janvier 2022)