La crise sanitaire accélère la révolution technologique. Les États-Unis, la Chine et l’Europe sont sur le pied de guerre.
Le grand gagnant de l’épidémie de Covid-19 est désormais connu : ce n’est pas la Chine, ni même l’Asie, mais le numérique. La pandémie a accéléré la révolution technologique, jusqu’à immerger l’humanité dans l’ère digitale. Les applications numériques ont joué un rôle capital dans les stratégies de santé publique, du traçage à la vaccination – allant jusqu’au contrôle totalitaire de la population par le croisement des données personnelles en Chine. Les mesures sanitaires, notamment le confinement, ont provoqué un prodigieux essor du télétravail, de l’e-commerce et des places de marché, des services en ligne, à commencer par la santé et l’éducation. La pénétration du numérique et sa maîtrise par la population sont devenues un critère déterminant pour la résilience des nations. Elles sous-tendent toutes les révolutions provoquées par l’épidémie de Covid – de la réorganisation du travail et des chaînes de valeurs au nouveau partenariat entre l’État et les entreprises, en passant par la nouvelle répartition des hommes et des activités sur le territoire ou par la transition écologique. Leur place s’avère centrale dans la reprise et sera déterminante pour la nouvelle hiérarchie des entreprises, des nations et des continents qui émergera de l’épidémie.
Le numérique a changé de dimension, mais aussi de nature. La capitalisation d’Apple a dépassé 3 000 milliards de dollars et celle des Gafam atteint 11 125 milliards de dollars, soit 26 % de la valorisation du S&P 500 et 55 % de celle du Nasdaq 100. Le projet metaverse (métavers, en français) lancé par Facebook, entend créer un univers virtuel accessible à tous. Le grand bond en avant de l’économie digitale s’accompagne d’investissements massifs et entraîne la renaissance de l’espace qui en constitue l’infrastructure critique, devenant le laboratoire d’un État entrepreneur au service de l’innovation portée par les entreprises.
Les défis engendrés par ce boom sont multiples. Industriels, avec la pénurie de composants ou la mobilisation de Taïwan, de la Corée du Sud et du Japon pour répondre à la demande d’équipements requis par le métavers.
- Écologiques, car l’indispensable transition climatique des technologies de l’information est très gourmande en métaux sales.
- Sociaux, du fait des gigantesques inégalités de formation et d’équipement, tant entre les nations qu’en leur sein.
- Politiques et éthiques, tant il est indispensable de ne pas rééditer l’erreur commise lors de la naissance d’Internet et de traiter les questions vitales du respect de la vie privée et des libertés individuelles, d’inclusion, de prévention du harcèlement et des agressions, des appels à la haine et à la violence, de désinformation.
- Internationaux, tant la régulation du numérique ne peut être que mondiale, mais reste largement un trou noir du fait des tensions géopolitiques – à l’exception de la percée réalisée sur la taxation minimale des plateformes dans les pays développés.
Les technologies digitales constituent surtout le cœur de la nouvelle guerre froide entre les États-Unis et la Chine, dans laquelle les États-Unis sont en passe de prendre leur revanche. La partition du monde numérique a été actée par le retrait des entreprises américaines du marché chinois, tandis que les entreprises chinoises se voyaient interdites de cotation à l’étranger. La Chine et les États-Unis rivalisent pour l’accès aux métaux stratégiques pour les révolutions numériques et écologiques, Pékin soumettant, dans le cadre des nouvelles routes de la soie, ses financements d’infrastructures à des contrats à long terme de livraison de matières premières. Mais l’avantage bascule du côté des États-Unis, qui ont engagé la mise à niveau de leurs infrastructures avec le plan Biden de 1 200 milliards de dollars et effectuent d’impressionnantes percées technologiques dans l’intelligence artificielle et l’espace, grâce à la vitalité de leurs entrepreneurs et de leurs chercheurs. À l’inverse, la brutale reprise en main des secteurs de la technologie, des médias, du divertissement et de l’éducation par le Parti communiste, sous la férule de Xi Jinping, a cassé la dynamique du développement et de l’innovation, la peur provoquant la paralysie des entrepreneurs et la fuite des talents vers les entreprises d’État.
Le numérique concentre les espoirs et les risques de la sortie de l’épidémie de Covid. Il est la clé pour une croissance inclusive et durable comme pour la conciliation de la sécurité avec la liberté ou pour le rétablissement de la confiance entre les citoyens et les institutions représentatives. Le réveil des États-Unis est salutaire. Il doit être prolongé par celui de l’Europe qui ne peut prétendre durablement réguler sans produire ni innover.
(Article paru dans Le Point du 13 janvier 2022)