Avec l’élection d’Olaf Scholz, l’Allemagne s’impose comme le leader de l’Europe, au détriment de la France d’Emmanuel Macron.
La décennie 2020 sera décisive pour l’Union européenne. Après les chocs en chaîne de la crise de l’euro, du terrorisme islamiste, des vagues des migrants, du Brexit et de la pandémie de Covid, elle devra tenter de construire une Europe politique à partir de ses acquis – le grand marché, l’euro et l’État de droit – et surtout de la dynamique enclenchée par le plan de relance Next Generation EU. À défaut, les forces centrifuges pourraient l’emporter.
Après le départ du Royaume-Uni, le cœur de l’intégration du continent réside plus que jamais dans la relation franco-allemande. En apparence, la coalition entre le SPD, les Verts et les Libéraux, conduite par Olaf Scholz et placée sous le signe du pragmatisme et du progrès, semble plus proche des vues françaises sur l’Europe que les gouvernements d’Angela Merkel.
Il était de fait grand temps que l’Allemagne se réveille. Angela Merkel a en effet assis son exceptionnelle longévité sur un culte de la stabilité confinant à l’immobilisme. En dehors de ses décisions très contestables de sortie à marche forcée du nucléaire en 2011 et d’ouverture des frontières aux migrants en 2015, elle a prospéré sur la rente des réformes de Gerhard Schröder. Il en alla de même en Europe où son leadership s’exerçait par défaut, préférant réagir trop peu et trop tard plutôt qu’anticiper, ce qui se révéla catastrophique au cours de la crise de l’euro.
Olaf Scholz a donc été élu pour renouer avec le mouvement. Les jeunes ont voté massivement pour les Verts, au nom de l’urgence climatique, et pour les Libéraux, qui veulent accélérer la révolution numérique. Le Bundestag compte plus de 300 nouveaux députés sur 735. Le contrat conclu par la nouvelle coalition tricolore porte la marque de cette volonté de renouvellement.
En Allemagne, les priorités portent sur la relance et la réorganisation de la lutte contre l’épidémie autour de l’obligation vaccinale, un plan d’investissement massif sans hausse des impôts et du déficit, la couverture de 80 % de la consommation d’électricité par des énergies renouvelables dès 2030 contre 40 % aujourd’hui, la hausse du salaire minimum à 12 euros, la réforme des retraites et la construction de 400 000 logements par an. En Europe, le nouveau gouvernement souhaite s’engager dans une politique volontaire et active. Il ouvre la voie à une révision du pacte de stabilité. Il prévoit de consacrer 3 % du PIB à l’action internationale ce qui est compatible avec la hausse de l’effort de défense. Il assume le renforcement de la souveraineté stratégique du continent. Autant d’orientations qui s’accordent avec les objectifs français et le programme de la future présidence de l’Union par Paris.
Pour autant, dès lors que l’on quitte les grands principes pour en venir à leur déclinaison concrète et à la réponse aux défis qui se présentent, les divergences et les motifs de discorde se multiplient.
Au-delà de la renégociation des critères de Maastricht, la trajectoire opposée des dettes publiques et privées (116 % et 156 % pour la France, contre 70 % et 108 % pour l’Allemagne) constitue un risque majeur pour la pérennité de l’euro.
La coalition affiche sa volonté de maintenir l’Allemagne parmi les grandes puissances économiques mondiales, à travers la modernisation de son industrie et la poursuite de l’ouverture des échanges, ce qui heurte le protectionnisme français, désormais adossé à l’écologie. Le nucléaire civil reste banni et le militaire n’est toléré que sous la forme d’une « participation » à l’Otan. Loin de la peur du « grand remplacement », l’immigration est considérée à Berlin comme un apport indispensable pour enrayer la chute de la démographie et augmenter la population active, ce qui se traduit par l’ouverture de la naturalisation après cinq années de séjour. La menace terroriste est identifiée comme provenant de l’extrême droite plus que du djihadisme. Un « dialogue constructif » est prôné avec Moscou qui peine à concilier la dépendance au gaz russe – indispensable à la transition énergétique – et la résistance à la guerre hybride que mène Vladimir Poutine contre l’Europe. La Turquie est avant tout un partenaire. Le principe d’une stratégie indo-pacifique n’est pas même évoqué.
En 2017, la France d’Emmanuel Macron a fait figure de barrage au populisme avant d’être emportée par la vague des « gilets jaunes ». Aujourd’hui, c’est l’Allemagne qui s’impose non seulement comme le leader de l’Europe mais aussi comme le vrai rempart contre le populisme en Europe.
Olaf Scholz a fixé le cap de son futur gouvernement dans ces termes : « Dans un moment où il y a tant d’inquiétude, de peur et d’incertitude, il est important d’envoyer un signal de courage et de confiance. » Le courage et la confiance sont les qualités du leadership indispensable pour sortir les nations démocratiques et l’Europe de la crise existentielle qu’elles traversent. Souhaitons qu’ils finissent un jour par franchir le Rhin.
(Chronique parue dans Le Figaro du 29 novembre 2021)