La décision de la Grande-Bretagne de quitter l’UE paralyse chaque semaine un peu plus l’économie britannique. Et avec le Brexit, le pire reste à venir…
Plus de cinq ans après le référendum, deux ans après l’accord de sortie du 17 octobre 2019 et près d’un an après le traité avec l’Union du 24 décembre 2020, le Brexit continue d’empoisonner la vie des Britanniques et leurs relations avec l’Europe, plus que jamais érigée en bouc émissaire. La mise en scène de conflits permanents avec l’Union, et en particulier avec la France, constitue en effet le dernier recours de Boris Johnson pour tenter de masquer les surcoûts et les désordres qu’il génère.
Le Royaume-Uni se prépare à affronter un hiver du mécontentement comme il n’en a pas connu depuis les années 1970. La reprise de l’après-Covid a été fauchée par le Brexit. La croissance, qui était attendue à 7,2 % en 2021 après une récession historique de 9,9 % en 2020, devrait être limitée à 4,5 %, tandis que l’inflation dépassera 4 %. Si les exportations vers l’Union ont chuté de 18 %, les importations ont reculé de 13 %, et plus d’un million de travailleurs étrangers ont été contraints au départ. Avec pour conséquences la pénurie de produits frais, de meubles et de jouets, la rupture d’approvisionnement des stations-service faute de chauffeurs routiers, l’envol des factures d’énergie, le blocage des hôpitaux et des maisons de retraite, privés de personnel, et désormais la hausse des taux d’intérêt. Il en résulte une baisse de 2,9 % du pouvoir d’achat et une montée dramatique de la pauvreté, qui touche plus de 14 millions de personnes.
Faute de volonté, le Royaume-Uni ne tient aucun de ses engagements. La reprise des contrôles frontaliers a ainsi été une nouvelle fois repoussée jusqu’à l’été 2022. Surtout, l’impasse est complète en Irlande du Nord. Afin de préserver les accords du vendredi saint de 1998, qui ont mis fin à la guerre civile en supprimant la frontière avec la république d’Irlande, l’accord sur le Brexit a maintenu l’Irlande du Nord dans le grand marché européen en instaurant une frontière en mer d’Irlande. Or Londres persiste à ne pas la mettre en œuvre et répond aux propositions de la Commission par la menace de dénoncer l’accord ou de recourir aux mesures de sauvegarde de l’article 16. Les contentieux avec l’Union se multiplient sans fin. La situation s’est envenimée à propos des licences nécessaires pour travailler dans les eaux de Jersey et Guernesey – seules 111 demandes sur 216 étant acceptées pour les bateaux bretons –, et les financements pour contribuer au travail de la police française dans la prévention de l’immigration clandestine ont été suspendus. Le Royaume-Uni s’est engagé dans un mouvement agressif de déréglementation financière afin de tenter de restaurer la compétitivité de la City face aux places européennes. L’accord Aukus, qui a brutalement mis fin à l’accord signé par la France pour la fourniture de sous-marins à l’Australie, a achevé de dégrader les relations franco-britanniques, minant la coopération en matière de défense instituée par les accords de Lancaster House. L’Aukus a été largement médiatisé pour donner du corps au slogan « Global Britain », mais peine à cacher le vide de la relation spéciale avec les États-Unis, illustré lors de la débâcle de Kaboul.
Le Brexit constitue un jeu mortifère qui ne peut avoir d’issue positive : ses effets pervers sont structurels et non pas provisoires. Le projet d’un Singapour-sur-Tamise est incompatible avec la stabilisation des classes moyennes et la réduction des inégalités ; il est mort-né avec la hausse des rémunérations, des impôts et des cotisations sociales de 1,5 point. La souveraineté du Royaume-Uni est sapée par l’explosion de la dette publique, qui atteint 2 000 milliards de livres, et son unité menacée par la relance de la volonté d’indépendance de l’Écosse et de réunification de l’Irlande. Le Brexit n’obéit déjà plus à aucune dynamique positive. L’Union doit dès lors continuer à préserver son unité ; montrer une fermeté extrême sur ses principes fondateurs et sur le respect des accords signés ; rester souple en acceptant la simplification des échanges et des contrôles entre le Royaume-Uni et l’Irlande du Nord ; entretenir le dialogue avec les acteurs de la société civile britannique.
Boris Johnson illustre parfaitement la formule de Charles Péguy, qui pointait que « le triomphe des démagogues est passager mais leurs ruines sont éternelles ». Les promesses mensongères du Brexit sont déjà mortes. Mais ses ruines surplomberont le destin du Royaume-Uni et de l’Europe pendant des décennies.
(Article paru dans Le Point du 21 octobre 2021)