Au pays de Xi Jinping, la faillite imminente du géant de l’immobilier pourrait sonner la fin de l’hypercroissance.
Evergrande, deuxième acteur de l’immobilier chinois, se dirige droit vers le défaut de paiement. Sa dette se monte à 300 milliards de dollars. L’entreprise se trouve à la tête de 1,4 million d’appartements inachevés, son cours en Bourse a chuté de 90 % depuis le début de l’année, et elle n’est plus seulement confrontée à un stress de liquidités mais à une crise majeure de solvabilité.
Evergrande et son fondateur, Xu Jiayin, dont la fortune a culminé à 45 milliards de dollars, sont les dernières victimes de l’offensive de Xi Jinping pour remettre sous la tutelle du Parti communiste le capitalisme et les riches. Ils doivent servir d’exemples afin de purger l’énorme bulle immobilière qui menace la cohésion sociale et la stabilité financière. La course folle de l’immobilier en Chine est insoutenable. Le pays compte 3 milliards de mètres carrés invendus qui pourraient loger 90 millions de personnes, et il a laissé se constituer une dette immobilière de 4 700 milliards de dollars. Les prix ont été multipliés par six depuis 2002 et il faut disposer de près de quarante années de salaire moyen pour acheter un appartement dans une tour dont l’espérance de vie est de trente ans. Mais le secteur immobilier représente 29 % du PIB, soit plus du double de son poids aux États-Unis, et il apporte aux autorités locales l’essentiel de leurs ressources. Le seul groupe Evergrande gère 778 projets en cours dans 223 villes et génère plus de 3 millions d’emplois directs et indirects.
Evergrande ne sera pas un nouveau Lehman Brothers. La société n’a émis que 24 milliards de dollars de dettes offshore et la fermeture du compte de capital de la Chine limite les risques de contagion au reste du monde. En revanche, le choc sur le pays est systémique et acte la fin du modèle de croissance financé par la dette.
À court terme, les autorités chinoises devraient se montrer très dures avec Evergrande et ses actionnaires : à l’inverse de Huarong, société d’État spécialisée dans la gestion des créances douteuses, le groupe ne bénéficiera d’aucun plan de sauvetage. Pour le 1,2 million de familles qui attendent la livraison de leur appartement, des entreprises d’État ou les gouvernements locaux prendront en charge l’achèvement des travaux. Et la Banque de Chine se tient prête à réassurer le système bancaire pour limiter le ralentissement économique.
À moyen terme, les conséquences sont d’une tout autre ampleur. La faillite d’Evergande marque le début du dégonflement de la bulle immobilière en Chine, l’un des deux moteurs, avec les exportations, des « quarante glorieuses » chinoises. Aujourd’hui, la population diminue tandis que les retraités fuient les villes, ruineuses et invivables, pour retourner à la campagne. L’industrialisation à marche forcée est incompatible avec la lutte contre le réchauffement climatique, mais l’immobilier représente 40 % du patrimoine des ménages et leur principale épargne de précaution en l’absence de système de protection sociale.
La fin de l’hypercroissance chinoise va déclencher une spirale de baisse des richesses des ménages et donc une chute de la consommation intérieure. En voulant réguler le capitalisme, Xi Jinping a commis la même erreur qu’en voulant régir l’ordre international. Il a cédé à la démesure en ouvrant une confrontation prématurée avec les États-Unis. Il est allé trop vite et trop fort dans l’assainissement du capital. En guise de prospérité commune, Xi Jinping, avec la réhabilitation des principes maoïstes, programme le retour à la pauvreté commune. Il suscite une opposition silencieuse mais montante, dont nul ne sait si elle réussira à s’exprimer lors du sixième Plénum de décembre et du XXe Congrès du PCC en 2022, appelés à jouer un rôle déterminant dans l’évolution du totalitarisme chinois, de son modèle économique et de ses relations avec le monde extérieur.
(Article paru dans Le Point du 30 septembre 2021)