Le retour des États-Unis vers une diplomatie prévisible et une stratégie lisible, après le jeu de massacre des années Trump, est salutaire.
Depuis sa naissance dans les années 1970, le poids du G7 dans l’économie mondiale a diminué de 80 % à 40% sous l’effet de la mondialisation et de son incapacité à prendre la mesure des grandes transformations du XXIe siècle.
Pour la démocratie comme pour l’Occident, les années 2020 seront décisives. Soit elles amorcent leur renaissance avec la sortie du capitalisme de bulles, l’évolution vers une société inclusive, la refondation du pacte citoyen et d’une nouvelle alliance pour défendre la liberté politique. Soit la stagnation économique, la hausse des inégalités et la paralysie des institutions s’installent, laissant le champ libre aux démocratures, aux fanatiques et aux démagogues.
Après quatre années chaotiques où Donald Trump fut le compagnon de route des autocrates, la tournée européenne de Joe Biden, rythmée par la réunion du G7 en Cornouailles, le sommet de l’Otan à Bruxelles, puis la rencontre avec Vladimir Poutine, présente une importance capitale. L’enjeu n’est pas de régler l’immensité des problèmes pendants mais d’adresser un signal politique clair, en cassant l’idée d’un déclin inexorable de l’Occident et du caractère obsolète du libéralisme. Dans un monde dangereux, fragile et incertain, Joe Biden arrive avec des idées claires : stabiliser le système mondial pour ménager le temps nécessaire à la réunification de la nation américaine et à la reconstruction de sa puissance ; donner la priorité au cantonnement de la Chine de Xi Jinping en jouant la désescalade avec la Russie de Vladimir Poutine ; créer une grande alliance des démocraties autour des États-Unis avec un pilier européen autour de l’Otan et un pilier asiatique autour du Quad (États-Unis, Japon, Australie et Inde).
L’enchaînement des sommets en Europe entend ainsi acter le réalignement politique de l’Europe et des États-Unis autour de décisions concrètes : le règlement des contentieux commerciaux, notamment dans les domaines de l’aéronautique et de la sidérurgie ; l’accord autour d’un impôt mondial sur les sociétés avec un taux minimum de 15 % ; la mobilisation autour de la lutte contre le réchauffement climatique ; la réaffirmation de la validité de l’Otan et de la garantie de sécurité entre alliés face à la Russie mais aussi à la Chine ; la définition d’une stratégie vis-à-vis des émergents pour contrer les « nouvelles routes de la soie ».
Le retour des États-Unis vers une diplomatie prévisible et une stratégie lisible, après le jeu de massacre des années Trump, est salutaire. Au-delà des mots, Joe Biden a répondu aux attentes des Européens par des décisions fortes avec l’organisation du sommet mondial sur le climat et l’annonce d’une réduction de 50 % des émissions d’ici à 2030 par rapport à 2005, l’accord sur la fiscalité des entreprises mondialisées, la mobilisation contre le Covid grâce à l’universalisation de la vaccination, y compris pour les nations et les populations les plus pauvres.
Mais si l’Amérique de Joe Biden se dit de retour, nul ne sait vraiment quelle Amérique, où et pour combien de temps. La résurrection de l’Amérique de 1945 est impossible et la politique étrangère pour la classe moyenne répond au principe « America First » plus qu’aux exigences d’une grande alliance des démocraties. Le leadership de Joe Biden se trouve déjà contesté par la perspective d’une défaite aux élections de mi-mandat, l’opposition du Congrès aux hausses d’impôt, l’exacerbation des tensions autour de l’exercice du droit de vote dont les Républicains veulent priver les minorités ethniques. La crédibilité des États-Unis demeure lourdement ébranlée par leurs divisions intérieures, par les séquelles de l’assaut sur le Capitole, par leurs échecs stratégiques en chaîne – actés par le retrait piteux d’Afghanistan. En bref, les alliés restent otages des pulsions de l’électorat américain et de la dérive populiste du Parti républicain. Par ailleurs, les intérêts ne sont pas alignés. Pour les Américains, la priorité va à l’endiguement de la Chine ; pour les Européens, elle va à la lutte contre le réchauffement climatique et la pandémie.
Au seuil de cette décennie 2020, les démocraties jouent leur ultime chance de se ressaisir avant de connaître des revers tragiques. Leur destin dépend moins de la Chine, de la Russie ou des djihadistes que de la capacité des États-Unis à refaire leur nation et de l’Europe à sortir de son hibernation stratégique et de son déni des risques du XXIe siècle. La grande alliance des nations libres ne peut être fondée comme en 1945 sur la seule garantie des États-Unis. Or l’Europe constitue son maillon faible. Elle doit d’urgence donner corps à son autonomie stratégique. La survie de la démocratie ne passe pas seulement par le retour de l’Amérique, mais par le redressement des nations européennes et par la construction d’une Union politique.
(Chronique parue dans Le Figaro du 14 juin 2021)