L’Europe fera mieux que prévu au plan économique, mais pourrait être confrontée à un choc politique majeur.
L’Europe commence à voir le début de la fin de l’épidémie de Covid-19. La croissance devrait rebondir à partir de l’été pour atteindre dans la zone euro 4,2 % en 2021 et 4,4 % en 2022.
La sortie de crise pourrait cependant donner raison à Alexis de Tocqueville, qui situait le plus fort risque de secousse politique non pas au cœur des chocs historiques mais au moment où la situation s’améliore. Le risque politique, qui était considéré comme neutralisé depuis la défaite de Marine Le Pen en 2017, la conversion des populistes italiens à l’Europe et la bonne gestion du Brexit par l’Union, revient en force. Et ce dans les deux premières puissances de l’Union, qui affrontent des élections décisives : l’Allemagne en septembre 2021 et la France en mai 2022.
Le risque allemand est placé sous le signe de l’incertitude. La super-année électorale de 2021, qui culminera avec les législatives du 26 septembre, présente de multiples inconnues. Nul ne sait aujourd’hui qui succédera à Angela Merkel et laquelle des cinq coalitions potentielles émergera. Les rares certitudes portent sur le recul des deux partis traditionnels qui ont dominé depuis 1949 et forment l’actuel gouvernement ainsi que sur la percée des Verts : entraînés par le charisme d’Annalena Baerbock, ils sont désormais au coude-à-coude avec la CDU-CSU.
L’entrée très probable des Verts au gouvernement déboucherait sur une redéfinition profonde de la politique intérieure et extérieure de l’Allemagne. Leur programme repose sur la transformation numérique et écologique grâce au levier de l’économie de marché. Il se fixe pour objectif une société inclusive grâce à l’instauration d’un revenu minimum ainsi qu’une réduction des émissions de 70 % en 2030 par rapport à 1990 grâce au progrès scientifique et à l’innovation. Il prévoit un plan d’investissement de 50 milliards d’euros financé par la dette, ce qui suppose la levée des dispositions constitutionnelles qui interdisent à l’État fédéral d’emprunter plus de 0,35 % du PIB.
La rupture en politique étrangère serait plus radicale encore, mêlant encadrement des interventions de la Bundeswehr, contrôle strict des exportations d’armement, interdiction des armes nucléaires, abandon de l’objectif de 2 % du PIB pour les dépenses militaires, affirmation de la souveraineté technologique européenne, agenda transatlantique centré autour du climat et du numérique, abandon de la diplomatie mercantiliste au profit de la défense des droits de l’homme face à la Chine et à la Russie – impliquant l’arrêt du gazoduc NordStream 2 -, réforme de l’ONU avec la suppression du droit de veto au conseil de sécurité. Favorable au marché et à l’intégration européenne, cette plateforme heurte de plein fouet les positions et les intérêts français.
Le risque majeur, en France, est celui du populisme. Emmanuel Macron, qui s’était présenté comme le meilleur antidote aux extrémistes, a fait leur jeu. L’épidémie de Covid-19 a été le révélateur impitoyable du déclassement de notre pays. Les pouvoirs publics n’ont jamais défini de stratégie cohérente face à la pandémie. Le fort rebond de l’activité attendu après la récession historique de 2020 laisse entier le risque d’un effondrement économique et social lié à la déstabilisation de la plupart des pôles d’excellence et à l’envolée de la dette publique au-delà de 120 % du PIB. Enfin, l’État a perdu tout contrôle de l’ordre public et reste impuissant face à la montée et à l’extension des violences.
La démocratie française se trouvera ainsi en 2022 prise dans une terrible tenaille. D’un côté, le cumul de tous les facteurs favorables au vote d’extrême droite. De l’autre, la normalisation du Rassemblement national et l’abandon de la ligne anticapitaliste et de la sortie de l’euro qui interdisaient sa victoire, au moment où le président de la République transforme les élections régionales en jeu de massacre. L’élection de 2022 est loin d’être jouée. Mais elle se différencie des précédentes par le fait que Marine Le Pen peut être élue et qu’elle se trouve à égalité avec les candidats pouvant prétendre accéder au deuxième tour.
L’Europe fera mieux que prévu au plan économique mais pourrait donc être confrontée à un choc politique majeur. Cette remontée en flèche du risque politique ne peut être enrayée que par l’accélération de la vaccination, du plan de relance et de la réouverture des frontières pour ce qui est de l’Union. Par une reprise du dialogue entre l’Allemagne et la France incluant les Verts. Enfin et surtout par l’élaboration d’une stratégie et d’un programme crédibles de reconstruction de la France, qui constitue la seule réponse efficace à la poussée des populismes. Le défi pour notre pays reste qu’il sera très difficile de faire porter les solutions par ceux qui ont largement contribué aux problèmes.
(Chronique parue dans Le Figaro du 17 mai 2021)