En faisant appel à Mario Draghi pour former un gouvernement, le président Mattarella semble lui avoir confié une mission impossible.
Mario Draghi s’apprête à détailler le plan d’investissement de 221 milliards d’euros destiné à reconstruire l’Italie, qui joue sa dernière chance d’échapper à un effondrement économique et à un défaut financier. L’enjeu est tout aussi décisif pour l’Union européenne et la zone euro : du redressement de l’Italie dépendent en effet non seulement la participation de l’Europe à la reprise mondiale, mais aussi la poursuite de l’intégration du continent et la survie de l’euro.
Venant après la crise sur la dette souveraine de 2011, puis l’afflux des migrants, l’épidémie de Covid laisse l’Italie exsangue et hors d’état de se relever sans aide extérieure. La péninsule fut le premier pays touché par la pandémie en raison de l’importante communauté chinoise présente dans le nord du pays. Elle a enregistré près de 4 millions de malades et 120 000 morts et subi en 2020 la plus forte récession depuis la Seconde Guerre mondiale.
L’épidémie a ainsi révélé l’ampleur des maux d’un pays devenu l’homme malade de l’Europe depuis le passage à l’euro. Suicide démographique avec la perte de 1 million d’habitants depuis 2014 et le départ de 800 000 jeunes depuis 2008. Stagnation de l’activité et des gains de productivité depuis 2000. Paupérisation de la population, dont le niveau de vie a reculé de 10 % au cours de la dernière décennie. Explosion des inégalités sociales et territoriales – notamment en défaveur du Mezzogiorno, dont la population a fondu de 2 millions en vingt ans. Inefficacité de l’État, corruption endémique et puissance des mafias, qui contrôlent au moins 10 % du produit national. Déstabilisation de la démocratie représentative prise en tenailles par les populismes de droite et de gauche (Lega et Fratelli d’Italia d’un côté, M5S de l’autre).
En faisant appel en février à Mario Draghi comme ultime recours pour former un gouvernement, le président Mattarella semble lui avoir confié une mission impossible. Pourtant, le banquier qui sauva l’euro en 2014 pourrait être l’homme d’un nouveau miracle italien et, partant, jouer un rôle central dans l’Union au sortir de l’épidémie.
Depuis son entrée en fonction, Mario Draghi a rendu un cap à l’action du gouvernement et à la politique italienne. Sur le plan sanitaire, il a associé d’emblée reconfinement et accélération de la campagne de vaccination (350 000 injections par jour avec un objectif de 500 000), ce qui lui a permis d’avancer la réouverture de l’économie au 26 avril. Sur le plan économique, il a réarticulé les mesures d’urgence, le plan de relance et les réformes structurelles autour de cinq priorités :
- La transition écologique (renouvelables, rénovation du réseau électrique, isolation des bâtiments publics) ;
- La révolution numérique ;
- La modernisation de l’État et la digitalisation des services publics, notamment pour la collecte des impôts ;
- La transformation de la justice et la lutte contre la corruption ;
- La réduction de la pauvreté et des inégalités. Sur le plan européen, Mario Draghi a assuré sa légitimité en bloquant les exportations de vaccins AstraZeneca vers l’Australie, ce qui a réveillé et aidé la Commission, et entend désormais faire du plan italien le laboratoire de la relance de l’Union.
Mario Draghi aborde tout juste ses travaux d’Hercule et rien ne dit qu’il réussira là où tous les gouvernements italiens ont renoncé ou échoué depuis les années 1970. Mais il dispose d’atouts non négligeables. Le premier, majeur, réside dans le programme d’aide européenne à hauteur de 209 milliards d’euros, dont chacun mesure qu’il constitue une chance inédite et unique de redresser l’Italie. L’économie de la péninsule possède des points forts méconnus mais réels : une balance commerciale positive de 63 milliards d’euros en 2020 – contre un déficit de 65 milliards pour la France ; 200 000 entreprises exportatrices ayant vendu 455 milliards d’euros de biens à l’étranger en 2019 ; des pôles d’excellence dans le luxe, la mode, la mécanique, la pharmacie, l’ameublement, la cosmétique ; une organisation décentralisée fondée sur 156 districts fortement spécialisés.
Le meilleur atout de l’Italie reste cependant Mario Draghi lui-même, en passe, grâce à sa légitimité et à son approche fondée sur la recherche du consensus en amont et sur l’efficacité opérationnelle en aval, d’aligner toutes les forces autour du sauvetage de l’Italie. Il peut s’appuyer sur le soutien de 60 % des Italiens et sur un gouvernement de quasi-union nationale, mobilisés autour de l’objectif de la reconstruction du pays.
Depuis son unité, en 1861, l’Italie a souvent servi de laboratoire à la politique européenne, du fascisme à la coalition populiste de 2018 en passant par la démocratie chrétienne après 1945 ou par la médiacratie de Berlusconi. Avec Mario Draghi, leader italien mais aussi européen, elle se trouve de nouveau au cœur de l’histoire du continent.
(Chronique parue dans Le Figaro du 26 avril 2021)