Aux États-Unis, la dépense publique accélère la reprise de l’activité. En France, elle sert d’anesthésiant pour la poursuite des restrictions sanitaires.
L’épidémie de Covid-19 a clos le cycle des politiques libérales ouvert à la fin des années 1970, qui avait été fortement ébranlé par le krach de 2008. L’heure n’est plus au libre-échange, au capitalisme entrepreneurial, à la diminution des impôts et des dépenses publiques, à l’indépendance des banques centrales, mais au protectionnisme, au renouveau des interventions de l’État, à l’envolée des déficits et des dettes publics financés par l’émission de monnaie.
Stephanie Kelton s’affirme comme l’égérie de ce nouveau paradigme, qui postule que le déficit et la dette publics peuvent être augmentés de manière illimitée pour obtenir le plein-emploi, à la seule condition d’éviter le retour de l’inflation. Joe Biden a fait des États-Unis le fer de lance de cette doctrine.
Il entend générer une croissance de 6,5 % et réinstaurer le plein-emploi dès la fin de 2021 par un plan de relance budgétaire de 14 % du PIB, doublé d’un programme d’investissements de 2 250 milliards de dollars dans les infrastructures et la transition énergétique. Le premier est financé par la dette, qui serait remboursée par la croissance et l’inflation, le second par des hausses d’impôts sur les entreprises et les plus aisés.
En France, la stratégie du « quoi qu’il en coûte » semble appliquer ces nouveaux principes de politique économique.
Le ministère de l’Économie a indiqué que 424 milliards d’euros seront mobilisés pour faire face à l’épidémie de Covid-19 entre 2020 et 2022, entraînant pour ces trois années des déficits de 9,2 %, 9 % et 5,2 % du PIB. La dette atteint désormais 2 650 milliards d’euros, soit 40 000 euros pour chacun des 67 millions de Français.
Force est cependant de constater que la situation de la France diffère en tout de celle des États-Unis et que l’explosion des dépenses et des dettes publiques n’est pas mise au service de la relance, mais de la sanctuarisation d’un modèle de décroissance à crédit insoutenable.
Tout d’abord, la perte de contrôle des finances de la nation, en raison du surendettement public et privé, est masquée. Comme le souligne la Cour des comptes, la course folle des dépenses de fonctionnement hors Covid s’est poursuivie en 2020, notamment sous la forme de plusieurs milliers de créations de postes de fonctionnaire. En réalité, la dette publique ne sera nullement contenue autour de 118 % du PIB, compte tenu des dépenses engagées et de la diminution durable de la richesse nationale, mais tendra vers 130 % du PIB à la fin de la décennie.
Surtout, les dépenses publiques ne sont en France que marginalement consacrées à la relance et financent pour l’essentiel des aides d’urgence aux secteurs de l’économie fermés pour des raisons sanitaires ainsi que le dispositif de chômage partiel.
Conséquences directes de l’incapacité de l’État à anticiper l’épidémie, puis à la maîtriser, comme du retard dans la campagne de vaccination, les aides cannibalisent en effet la relance, handicapée de plus par le blocage du plan européen du fait de la Cour de Karlsruhe. La France manquera ainsi la reprise mondiale de 2021, après celles de 1995 et de 2009. Par ailleurs, le mantra du « quoi qu’il en coûte » ancre dans l’esprit des Français l’idée déraisonnable que l’État, en plus d’être garant de la sécurité et gestionnaire de la protection sociale, a désormais vocation à réassurer en toutes circonstances les revenus des ménages et des entreprises.
Aux États-Unis, la dépense publique accélère la reprise de l’activité et de l’emploi ; en France, elle sert d’anesthésiant pour la poursuite des restrictions sanitaires et l’absence de réforme de l’État. Loin de suivre la trajectoire américaine, notre pays s’enferme dans le piège qui s’est refermé sur l’Italie en 2011. Il pérennise la baisse de la production, notamment dans les secteurs d’excellence de l’aéronautique, du tourisme, de l’hôtellerie-restructuration, de la culture. Il se surendette dans une monnaie, l’euro, qu’il ne maîtrise pas et qui ne bénéficie pas du monopole du dollar comme devise internationale. Enfin il ne dispose d’aucune marge de manœuvre pour augmenter les impôts et les prélèvements, qui sont les plus élevés au monde développé.
La stratégie du « quoi qu’il en coûte » ne répond plus à une logique économique, mais à un objectif politique. Elle ne constitue en rien une stratégie de sortie de crise, mais cherche à reporter après l’élection présidentielle l’ajustement de l’emploi et des revenus des Français ainsi que la restructuration inévitable des entreprises. Au prix du déclassement définitif de la France. La priorité absolue doit aujourd’hui aller non pas à la prolongation de la mise en coma artificiel de l’économie et de la société, mais à la relance. Avec pour objectif de retrouver le plus vite possible le niveau de richesse et d’emploi de fin 2019.
(Chronique parue dans Le Figaro du 19 avril 2021)