La CDU vient d’éprouver deux défaites historiques lors des élections régionales et pourrait être évincée du gouvernement en septembre.
Pour l’Allemagne, l’année 2021 est placée sous le signe d’une super année électorale qui s’est ouverte avec les élections régionales de Bade-Wurtemberg et de Rhénanie-Palatinat, le 14 mars, et qui culminera avec les élections législatives du 26 septembre. Elle mettra fin au règne d’Angela Merkel qui a non seulement gouverné l’Allemagne durant seize ans mais aussi assuré le leadership de l’Union au fil du déclassement de la France. L’Allemagne a ainsi pris le contrôle de la construction européenne et piloté – non sans erreurs – la crise de l’euro, l’afflux des migrants, le Brexit, la pandémie de Covid et le plan de relance de 750 milliards d’euros.
Dans la nouvelle hiérarchie des puissances qui émerge de l’épidémie, l’Allemagne fait partie des gagnants. L’État a su anticiper le choc puis organiser la montée en puissance du système hospitalier, qui n’a jamais été saturé, comme de l’industrie biomédicale, ce qui a permis de limiter le nombre des victimes à 75 000 pour 83 millions d’habitants (contre 92 000 pour 67 millions de Français).
Pourtant, les risques s’accumulent sur la sortie de crise. Elle dépend avant tout du contrôle de la situation sanitaire. Or la stratégie du zéro Covid poursuivie par la Chancelière à grand renfort de confinements successifs a échoué. Surtout, la campagne de vaccination accumule les retards en raison des défaillances de l’Union dans l’approvisionnement des doses mais aussi d’une organisation bureaucratique et d’un principe de précaution poussé à l’absurde. L’Allemagne n’a ainsi vacciné que 8,2 % de la population contre 35 % au Royaume-Uni et 30 % aux États-Unis.
Du coup, ressurgissent les interrogations qui étaient apparues avant l’épidémie sur la pérennité du modèle allemand, déstabilisé par le « Dieselgate » et les scandales financiers, la vague des migrants et la montée de l’extrême droite, la menace de sanctions commerciales brandie par l’Administration Trump. La culture de la stabilité ne débouche-t-elle pas sur l’immobilisme dans une période de grandes transformations ? La rigueur monétaire et financière conserve-t-elle du sens à l’ère de l’helicopter money et alors que le pays souffre d’un déficit chronique d’investissement et d’innovation ? La spécialisation dans l’exportation (47 % du PIB) de produits industriels et dans les secteurs de l’automobile, de la chimie et des machines-outils est-elle compatible avec la démondialisation, la révolution numérique et la lutte contre le changement climatique ? Le choix de déléguer la sécurité aux États-Unis dans le cadre de l’Otan est-il encore pertinent face aux menaces des démocratures chinoise, russe et turque, à l’extension du djihadisme ?
L’Allemagne a commencé à s’adapter. Elle intègre les migrants pour compenser son déclin démographique. Elle utilise les plans de relance pour accélérer sa conversion à l’ère numérique et à la transition écologique. Elle accepte désormais le principe d’une souveraineté européenne en matière de commerce, d’industrie, de technologie, de droit ou de fiscalité – mais non pas de sécurité et de défense même si elle a porté sous la pression des États-Unis son budget militaire à 50 milliards d’euros. Elle assume le leadership tacite de l’Union en jouant le rôle de puissance d’équilibre entre le nord et le sud, l’est et l’ouest du continent, mais en se refusant à porter une vision politique de l’Europe.
L’Allemagne se trouve ainsi au milieu du gué et l’Europe avec elle. La CDU n’a pour l’instant ni candidat désigné à la Chancellerie, ni programme, ni réelle identité. Elle vient d’éprouver deux défaites historiques lors des élections régionales et pourrait être évincée du gouvernement en septembre. La menace vient moins du SPD que des Verts qui, portés par le duo charismatique formé par Robert Habeck et Annalena Baerbock, devraient bénéficier du désir de changement et du retour à la priorité écologique à la sortie de l’épidémie.
Contrairement à la France, l’Allemagne a fait la preuve de sa résilience face à l’épidémie et de sa capacité à réassurer l’Union et l’euro. Mais elle est confrontée à de nombreux dilemmes, qui ne pourront trouver de solution que par la recherche du consensus et le pragmatisme. La réaffirmation de l’ordo-libéralisme et de sa culture de la stabilité dans un monde fragmenté et violent, fait de chocs et de ruptures technologiques, qui exige vitesse et agilité. L’attachement à une stratégie dominée par le mercantilisme dans un moment décisif où la démocratie joue sa survie face aux démocratures et aux djihadistes. L’accumulation méthodique des moyens de la puissance associée au refus de leur donner une traduction stratégique. La responsabilité du leadership de l’Union qui constitue la seule option de long terme mais qui est minée par l’écart croissant entre sa surpuissance et le décrochage de ses partenaires du sud, France en tête.
(Chronique parue dans Le Figaro du 22 mars 2021)