Si le monde bascule vers l’Asie, l’impérialisme de la Chine pourrait bien être freiné par le regain démocratique des pays de la région.
La crise du coronavirus est sanitaire et économique, mais aussi géopolitique. Elle bouleverse les rapports de puissance, accélérant la montée de l’Asie et le recul de l’Occident, qui a perdu la maîtrise de l’ordre mondial avec les guerres perdues d’Afghanistan, d’Irak et de Syrie, du capitalisme avec le krach de 2008, de la santé publique avec l’épidémie de Covid-19.
L’Asie émergente, qui connaîtra une croissance de 9,5 % en 2021 – plus de deux fois supérieure à celle de la planète (4,3 %) –, s’affirme comme le centre de gravité de l’économie mondiale, dont elle représente déjà 38,2 % du PIB. Elle est aussi le théâtre principal de l’affrontement entre la démocratie et les régimes autoritaires comme de la grande confrontation entre les États-Unis et la Chine.
Pékin a pleinement mis à profit l’incapacité des démocraties à répondre aux chocs qui se sont succédé depuis le début du siècle, leur déstabilisation par les populismes, le repli nationaliste et protectionniste des États-Unis. Sa stratégie d’expansion s’est amplifiée autour de cinq cercles : le durcissement idéologique du régime avec le pouvoir à vie et le culte de la personnalité organisé autour de Xi Jinping ; l’annexion de la mer de Chine du Sud, la reprise en main de Hongkong et les menaces sur Taïwan ; l’affirmation du leadership sur le Pacifique avec la conclusion le 15 novembre 2020 du traité de libre-échange asiatique, qui couvre 30 % de la population et de l’activité mondiales ; la multiplication des incidents armés dans le Ladakh avec l’Inde, qui pourrait servir de test pour le combat de haute intensité ; enfin, la projection du modèle total-capitaliste et la poursuite de l’encerclement de l’Occident à travers le soutien des régimes autoritaires, les nouvelles routes de la soie et la diplomatie sanitaire.
Mais, dans le même temps, la liberté montre en Asie-Pacifique de nombreux signes de résistance, qui sont autant de motifs d’espoir.
Ce sont les démocraties d’Extrême-Orient qui ont le mieux réagi à l’épidémie de Covid, à l’image de Taïwan, de la Corée du Sud ou de la Nouvelle-Zélande. La réussite de Taïwan a déchaîné l’ire de Pékin, qui multiplie les pressions ainsi que les incursions aériennes et maritimes pour intimider l’île nationaliste.
Les menaces de la Chine sur l’Asie-Pacifique ont par ailleurs provoqué une prise de conscience des États de la région, qui cherchent désormais à contenir son expansion.
Sur le plan économique, Taïwan reconfigure ses chaînes d’approvisionnement pour réduire sa dépendance à la Chine. De même, l’Australie refuse de céder au chantage exercé sur elle à travers l’avalanche de sanctions visant ses exportations de charbon, de minerais, de céréales, de viande et de vin – entrant pour 40,4 % de ses ventes internationales – pour avoir demandé une enquête internationale indépendante sur les origines de la pandémie. En réponse, elle a engagé une révision des accords passés entre les collectivités, les universités, les entreprises avec des entités chinoises. Les équipementiers et les opérateurs numériques, bras armés du Big Brother de Pékin, se trouvent, par ailleurs, de plus en plus bannis dans la région.
Sur le plan stratégique, les démocraties asiatiques réarment, avec un effort particulier pour leurs marines, pour l’espace et le numérique. L’Australie a signé un accord militaire historique en novembre 2020 avec le Japon, qui accroît également sa coopération avec l’Inde. Enfin, les États-Unis, après avoir réitéré leur engagement à défendre la souveraineté de Taïwan et leur présence navale pour garantir la liberté de circulation en mer de Chine, devraient renouer sous l’administration Biden avec le grand dessein du pivot vers l’Asie en renforçant les liens avec leurs alliés – notamment dans le cadre des accords Quad – ainsi que leur présence militaire.
Le changement le plus spectaculaire provient cependant des peuples et, en particulier, de la jeunesse, qui n’hésite plus à se soulever contre les régimes autoritaires. Hongkong a servi de laboratoire avec la révolte contre la remise en question par Pékin des accords de restitution du 19 décembre 1984 et le vote de la loi de sécurité nationale du 30 juin 2020. La victoire tactique de Pékin se traduit par une défaite politique. La répression féroce du mouvement ne l’a en effet pas empêché de faire école.
La résistance de Taïwan se trouve galvanisée. En Thaïlande, les étudiants défient le pouvoir et s’affranchissent des tabous en contestant la monarchie incarnée par l’extravagant roi Vajiralongkorn, qui vit en Allemagne et s’est approprié une fortune estimée à 40 milliards de dollars. En Birmanie, le coup d’État déclenché le 1er février par le général Min Aung Hlaing, après que le LND de Aung San Suu Kyi a obtenu 83 % des voix aux élections de novembre 2020, se heurte à d’immenses manifestations et au mouvement de désobéissance civile porté par les fonctionnaires, les médecins, les entreprises et les syndicats. La fuite en avant de la junte dans la violence, qui a fait plus de 60 morts, bute sur la paralysie du pays, mis au ban de la société internationale, à l’exception de la Chine.
La liberté politique ne se confond plus avec l’Occident ; son destin au XXIe siècle se jouera largement en Asie. Aux États-Unis, s’ils veulent préserver leur leadership, d’imaginer et d’appliquer un cantonnement efficace du total-capitalisme de Pékin. Aux Européens de se doter d’une stratégie indo-pacifique. Aux démocraties de nouer une nouvelle alliance, de refaire leur unité autour de leurs valeurs et de leur sécurité, de soutenir activement le combat des sociétés asiatiques pour la liberté.
(Article paru dans Le Point du 11 mars 2021)