Exposée à de multiples menaces, la France doit redéfinir sa stratégie de défense et assumer son leadership au sein d’une Union vulnérable.
Les menaces stratégiques sur la France et l’Europe renaissent avec le djihadisme, qui se redéploie en réseau social de la terreur depuis sa défaite au Levant, mais aussi avec les démocratures. La mondialisation exacerbe les rivalités entre les puissances, portées par les passions nationales et religieuses. Elle déplace le centre de gravité du monde de l’Occident vers l’Asie tout en ouvrant de vastes espaces aux ambitions de la Chine, de la Russie et de la Turquie (qui multiplient les interventions au Moyen-Orient et en Méditerranée, mais aussi les interférences dans la vie des démocraties à travers la manipulation de l’information par les réseaux sociaux) ainsi que de l’Iran (qui entend sanctuariser sa théocratie par la prolifération nucléaire).
L’Europe, qui se veut pacifique, est en réalité cernée par les zones de conflits, de la Baltique à Gibraltar. Sur fond d’une nouvelle course aux armements, les pôles, l’espace et le cybermonde se militarisent. Au même moment, l’ordre de 1945 dont l’Union est l’héritière se désintègre avec la remise en question des institutions et des règles mises en place pour endiguer ou limiter la violence – alliances stratégiques, traités de contrôle des armements, organisations multilatérales. Le système international du XXIe siècle est privé de leadership stratégique et moral par le repli des États-Unis et l’impérialisme de la Chine.
Dans ce monde incertain, dangereux et privé de toute réassurance, la France et l’Union européenne sont non seulement très vulnérables, mais de plus en plus divergentes. La France a réussi à préserver un appareil militaire et une industrie de défense performants, qui constituent l’un de ses derniers pôles d’excellence. Elle peut s’appuyer sur la dissuasion nucléaire, sur un modèle complet d’armée, sur une culture stratégique forgée au fil de quelque 120 opérations extérieures depuis la fin de la guerre d’Algérie. Mais notre pays se trouve surexposé et ses forces armées surengagées – plus de 30 000 soldats déployés en permanence – par rapport à leurs moyens.
L’Union semble pour sa part tétanisée par le vide de sécurité dans lequel elle s’est installée – aggravé par le Brexit, qui la prive du tiers de son potentiel militaire – face au trop-plein des risques. Fondée autour du droit et du marché, elle peine à se redéfinir en termes de sécurité. En dépit d’un effort de réarmement des pays du Nord et de l’Est pour répondre à la poussée russe, l’Union reste enfermée dans le déni des menaces et dans la priorité donnée aux dépenses sociales au détriment de sa sécurité.
La France, qui dispose d’une responsabilité particulière dans la sécurité du continent après le Brexit, doit impérativement remettre en cohérence ses ambitions et ses moyens. Il s’agit de mettre en place une stratégie globale autour des objectifs suivants : autonomie, résilience, flexibilité, aptitude à coordonner les services de l’État, à travailler avec nos partenaires et nos alliés comme avec les acteurs économiques et sociaux.
Seule une Union pour la sécurité peut éviter à l’Europe de devenir l’objet de la rivalité entre les États-Unis et la Chine au XXIe siècle, comme elle le fut entre les États-Unis et l’Union soviétique au temps de la guerre froide. Elle doit se forger par le haut, avec l’instauration progressive d’une culture stratégique et opérationnelle partagée, comme par le bas, de manière pragmatique, à travers la lutte contre le terrorisme, le contrôle des frontières, la surveillance de la Méditerranée, la coopération dans l’espace et le cyberespace.
En France comme en Europe, il faut mettre à profit l’épidémie de Covid-19, qui a remis la sécurité et la résilience des nations au premier rang des priorités. L’heure est moins que jamais à faire l’armée pour l’armée, mais à mettre l’armée au service de la France et de l’Europe et la sécurité au service de la liberté.
(Article paru dans Le Point du 18 février 2021)