La décision de reporter un troisième confinement témoigne de la prise de conscience par Emmanuel Macron de l’échec du tout-sanitaire.
L’épidémie de Covid-19 constitue pour les démocraties, par sa violence, sa complexité et sa durée, un défi sans précédent depuis les guerres mondiales du XXe siècle. Si la pandémie et la lassitude des peuples sont universelles, les écarts se creusent entre les stratégies et les performances des nations.
L’Europe est très fragilisée, qui voit l’Union se livrer à une course de lenteur en matière de vaccination et de mise en œuvre de son plan de relance, alors que la zone euro a enregistré une récession de 7,2 %, contre un recul de 3,5 % aux États-Unis et une croissance de 2,3 % en Chine. En son sein, la France est menacée d’un effondrement comparable à celui de juin 1940. Les études réalisées sur la qualité de gestion de la crise rangent notre pays dans le peloton de queue.
La perte de contrôle de la situation sanitaire, du pilotage de l’économie, de l’unité et du moral de la nation renvoie à une stratégie liberticide, où l’État est moins mobilisé pour surmonter l’épidémie que pour contrôler citoyens et entreprises, y compris en les noyant sous un flot d’argent public.
En mars 2020, faute d’anticipation, la France n’eut d’autre choix que de recourir à un confinement strict, au prix de la mise à l’arrêt de la plupart des entreprises et de services publics aussi essentiels que l’éducation ou la justice. Un an après, au fil des couvre-feux et de restrictions sans cesse renforcées, elle expérimente un confinement du troisième type.
Entre-temps, la prise en charge des malades a progressé grâce aux médecins. Mais le parc des lits de réanimation a été à peine augmenté ; le traçage et l’isolement des malades n’ont jamais été réalisés ; notre pays fait partie des trois derniers de l’Union en proportion de la population vaccinée.
Les Français ont été entretenus par Emmanuel Macron et son gouvernement dans l’espoir que l’activité économique et la vie sociale reprendraient leur cours normal au second semestre 2021. Et toute la stratégie du « quoi qu’il en coûte » qui a porté en 2020 le déficit de l’État à 178 milliards d’euros et la dette publique à 120 % du PIB reposait sur ce pari. Or il est déjà perdu en raison de la faillite de la politique sanitaire.
La politique économique se trouve prise à contrepied. En 2020, l’économie française a connu une divergence inouïe : l’activité a chuté de 8,3 %, mais le pouvoir d’achat a augmenté de 0,3 % ; le chômage n’a touché que 265 000 personnes supplémentaires, alors que 790 000 emplois ont disparu ; les faillites ont diminué de 30 %. L’explication réside dans l’explosion de la dette publique, qui a notamment permis de financer les aides directes aux entreprises et le chômage partiel.
La poursuite de cette stratégie est insoutenable. La France, sauf à se ruiner définitivement, ne peut accroître sa dette de 10 % à 15 % du PIB en 2021. Et ce d’autant que ces fonds ne sont pas consacrés à investir mais à repousser dans le temps les faillites et la hausse du chômage qui sont simplement différées.
L’impasse sanitaire et financière provoque la montée du ressentiment et de la violence, notamment pour les pans entiers de la population qui se trouvent condamnés à une mort économique et sociale : indépendants, commerçants, restaurateurs et hôteliers, précaires, jeunes. Les Français de 1940 avaient été saisis par la débâcle, la chute de l’armée et de la IIIe République ; les Français de 2021 oscillent entre désarroi et rage en se trouvant brutalement confrontés à la réalité du déclassement de la France et de la faillite d’un État incapable de répondre aux crises et de les protéger.
Depuis la première vague, la France subit l’épidémie, ce qui lui interdit de la surmonter. Elle protège son système hospitalier plus que ses citoyens ; elle a tout sacrifié à l’urgence sanitaire, sans prendre en compte les dommages psychosociaux, les coupes sombres dans l’économie, la hausse des inégalités, la descente aux enfers de la jeunesse. Fermer et surveiller pour mieux dépenser, dépenser pour mieux fermer et surveiller n’a d’autre sens que de vouer la France à la ruine et les Français au désespoir.
La décision inattendue de reporter un troisième confinement témoigne de la prise de conscience par Emmanuel Macron de l’échec de son choix du tout-sanitaire, qui n’a pas assuré le primat de l’économie sur la santé mais a condamné les Français à une vie déshumanisée et à une mort à crédit.
Face à une épidémie qui dure, nous devons élaborer une stratégie de long terme qui réaligne éradication du virus, redéveloppement de l’activité et de l’emploi, cohésion sociale, préservation de la jeunesse. Nous devons investir non pas dans l’arrêt de l’économie et de la vie sociale, mais dans la capacité à assurer leur continuité en toutes circonstances. Nous devons rompre avec l’arbitraire et la servitude volontaire pour ouvrir le débat sur les stratégies alternatives au confinement, retrouver le sens de la délibération et de l’engagement collectifs. Nous devons cesser de détruire pour reconstruire.
(Chronique parue dans Le Figaro du 1er février 2021)