Le 46e président des États-Unis devra affronter cinq crises majeures en temps de pandémie et reconstruire son pays.
L’assaut du Congrès lancé par les partisans de Donald Trump le 6 janvier 2021 et le saccage du Capitole sont à la démocratie américaine ce que fut le 6 février 1934 à la IIIe République. Ils soulignent la fragilité de l’État de droit et la crise aiguë du leadership aux États-Unis.
Ils font la vérité sur le populisme qui, loin de rendre le pouvoir au peuple, fait le lit du despotisme.
Le défi qui se présente devant Joe Biden est historique. L’Amérique cumule en effet cinq crises majeures.
Sanitaire avec la sortie de tout contrôle de l’épidémie de Covid-19 qui touche près de 24 millions d’Américains et a fait 400 000 morts, provoquant une chute de l’espérance de vie désormais inférieure à son niveau en Chine (75,8 ans pour 332 millions d’Américains contre 77,3 ans pour 1,4 milliard de Chinois).
Économique avec une récession de 3,6 %, 19 millions de chômeurs, l’envol du déficit commercial notamment avec la Chine, un déficit et une dette publics s’élevant à 14,9 % et 127 % du PIB.
Sociale avec l’effondrement de la classe moyenne qui accompagne l’explosion des inégalités.
Politique avec la paralysie du système de décision, le discrédit de la Constitution et l’éclatement de la nation.
Internationale avec le repli désordonné des États-Unis, le démantèlement de leur leadership et la ruine de leur image qui laissent le champ libre à l’expansion de la Chine.
Le mandat de Joe Biden ne porte pas uniquement sur la relance de l’économie, comme Barack Obama en 2008 ; il est de reconstruire l’Amérique. Son but ne peut être le retour au passé – donc aux dérives qui enfantèrent la victoire de Donald Trump – mais l’invention de l’avenir.
En cela, il peut être comparé à celui de Franklin Roosevelt en 1933, qui entendit non seulement répondre aux ravages de la Grande Dépression, qui avait provoqué la chute de moitié de la production industrielle et jeté 25 % de la population active au chômage depuis 1930, mais surtout restaurer la confiance des Américains dans leurs institutions et dans l’avenir. Le New Deal visait ainsi à réassurer l’économie de marché à travers l’intervention de l’État, tout en retissant le contrat politique autour de la création d’une sécurité sociale.
Les « cent jours » de Joe Biden seront décisifs pour la lutte contre l’épidémie et la relance de l’activité, qui sont indissociables. Face au rebond de la pandémie, l’unique solution passe par l’accélération de la campagne de vaccination, qui mobilisera 416 milliards de dollars avec pour objectif d’immuniser 100 millions d’Américains avant la fin du printemps. La reprise de l’activité ne fait guère de doute, avec une croissance comprise entre 5 et 6 % grâce à la poursuite de l’expansion monétaire de la FED et à un nouveau plan de relance de 1 900 milliards de dollars. Comme dans les années 1930, l’objectif est de stabiliser les classes moyennes en réduisant l’insécurité économique et sociale. Cela passe par une redistribution des revenus mais surtout par une généralisation de la couverture santé et par la réforme du financement de l’enseignement supérieur dont les coûts prohibitifs ont généré pour 45 millions d’Américains une dette de 1 600 milliards de dollars.
La clé de ces transformations demeure la réforme du système politique, où le populisme, la violence et la corruption ont détruit le respect de la vérité, le sens du compromis et la confiance. Or l’épidémie, la récession et l’accélération de la révolution numérique confortent la polarisation économique, sociale et territoriale qui est à la source du populisme. Le plus important est d’enrayer cette dynamique et de réarrimer la politique à la réalité, ce qui sera particulièrement difficile pour la majorité des 74 millions d’électeurs de Donald Trump qui restent persuadés qu’il a gagné. Joe Biden devra marier la capacité à agir que lui confère le contrôle du Congrès, la négociation de compromis avec les républicains en rupture de ban avec le trumpisme, la neutralisation de la gauche radicale du Parti démocrate.
La présidence de Joe Biden sera déterminante pour le destin des États-Unis et de la démocratie au XXIe siècle. La démocratie américaine n’est plus un guide par son caractère exemplaire et sa puissance mais un indicateur d’alerte pour toutes les nations libres. Aucune démocratie ne peut prétendre être immunisée contre le populisme, comme le souligne la montée des extrémistes et de la violence en Europe. Au-delà de la sortie de l’épidémie et de la reprise qui imposent de poursuivre le soutien public aux entreprises et aux familles, la recherche d’un nouveau contrat politique et social s’impose à tous. Elle passe par un modèle économique inclusif et soutenable, par l’investissement dans la santé et l’éducation, mais surtout par la restauration du lien de la politique avec la raison et la liberté qui a fait le succès de l’Occident et dont la dissolution explique sa chute.
(Chronique parue dans Le Figaro du 18 janvier 2021)